LE JUGE - On vous reproche d’avoir participé le 18 février 2017 à une manifestation et d’avoir dégradé ou détérioré volontairement un bien, en l’espèce une clôture entourant l’écothèque au préjudice du site de l’Andra [1], occasionnant un dommage grave - des panneaux découpés et arrachés - ces dégradations ayant été commises en réunion. Puis, n’étant pas porteur d’une arme, d’avoir continué volontairement à participer à un attroupement après les sommations d’usage et en ayant le visage masqué afin de ne pas être identifié. On vous reproche aussi d’avoir opposé une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique (le gendarme). Si vous voulez faire une déclaration, c’est maintenant.
L. (L’ACCUSÉ) - Mesdames et messieurs, puisque votre tribunal a statué illégal le défrichement orchestré par l’Andra dans le bois Lejus sans donner de peine de prison, ne serait-ce que du sursis, aux responsables de ce massacre.
Puisque votre tribunal a condamné un camarade à six mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction de territoire, alors qu’il ne faisait que défendre cette forêt, afin d’empêcher ce défrichement, sachez que je n’attends rien de votre institution, que l’on nomme avec ignorance justice, ou rien n’est fait contre les voleurs en costard : les affaires Clearstream et Panama Papers, Luxleaks, en passant par Fillon, alors que des clochards volant des pâtes finissent en prison.
Il y a les souffrances que le nucléaire a engendrées et toutes ces victimes qui ne sont plus là pour en parler. Et voici devant le juge celles et ceux qui osent s’en indigner. Si se taire aujourd’hui, c’est faire souffrir d’autres personnes demain, voici avec honnêteté la raison d’une rage qui n’en finit plus de grandir.
« Dans la mesure où seul l’intérêt public est concerné, le châtiment est justifiable ; si nous franchissons cette frontière, notre propre conduite devient criminelle. » [2]
Ce sont des écrits de Thoreau. Ce projet [Cigéo] n’est pas porté par l’amour de l’humanité, sinon il écouterait cette humanité, quand en 2006 une pétition réunissant 50 000 signatures et demandant la tenue d’un référendum local a été déposée ; quand en 2013, les habitants de Mandres-en-Barrois ont exprimé leur opposition majoritaire à l’échange de leur forêt. L’Andra s’est révélée matinale pour obtenir un bois communal. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ? La démocratie, c’est 6h du matin avec quelques conseillers municipaux, actant l’échange à bulletins secrets.
Chez l’Andra, on aime l’argent, pas les gens. D’ailleurs, du fric, ils en ont tellement qu’ils peuvent vous en passer un petit peu, en échange de votre consentement. Il suffit de le demander au GIP [3]. Le GIP, c’est 60 millions d’euros qui arrosent chaque année les départements de Meuse et Haute-Marne, un accompagnement économique pour faire accepter une poubelle atomique, le paroxysme du poids de l’argent sur nos vies.
Vous êtes satisfaits, ou vous êtes matraqués. Parce que oui, si le fric ne vous attire pas et que vous êtes un peu trop dérangeant, il y a les flics qui vous tirent des flashballs et lancent des grenades de désencerclement. Les patrouilles de gendarmes grouillent dans le coin, depuis que l’Andra prévoit de polluer, ils y pullulent.
Mes motivations maintenant : pourquoi s’attaquer au grillage ? Cela ne vous intéresse sûrement pas, pas plus que ce gendarme qui m’a dit pendant le trajet vers la brigade : « Tu aimerais bien que je vienne découper le grillage de chez toi ? Bon ben là c’est pareil ». Voilà la fonction policière présentée dans toute sa splendeur : réprimer la conséquence, sans jamais chercher à en comprendre l’origine. Un grillage d’un projet de poubelle nucléaire serait le même que celui d’une maison. Et vous, juges et jurés, quand vous dites que vous n’êtes pas là pour juger les motivations mais les faits, vous vous abaissez au même niveau et c’est vous que l’on appelle justice.
Prendre autant de temps à parler de mon profil - comme on va le faire - d’où je viens, mon statut social, ne serait-ce pas révélateur d’une justice de classe ? Cela changerait-il quelque chose à la peine prononcée si j’étais un banquier ou un chômeur, un Français ou un étranger ? Nommer cela justice n’est qu’une vaste supercherie. Sachez que pour les personnes habitant une maison, il n’existe aucune crainte de voir les manifestants qui se sont attaqués à l’Andra débarquer chez eux pour abattre leur clôture.
Il lit une déclaration de Ravachol, sans le préciser.
« Et bien messieurs, il n’y a plus de criminel à juger mais les causes du crime à détruire. Oui je le répète, c’est la société qui fait les criminels et vous jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos forces à transformer la société. Du coup, vous supprimeriez les crimes et votre œuvre en s’attaquant aux causes serait plus grande et plus féconde. »
L’industrie du nucléaire a toujours eu une gestion des déchets à la hauteur de son impunité. Pendant plusieurs années, peut-être encore aujourd’hui, les fûts de déchets nucléaires d’origine européenne furent largués sur les côtes somaliennes. Un tsunami avait fait remonter ces fûts sur la plage, faisant apparaître des saignements, des malformations chez les Somaliens. Cette pollution dévastatrice s’ajoutant à la pêche massive occidentale a fini par pousser les populations locales et les petits pêcheurs à agir. Ces derniers s’organisèrent et lancèrent avec d’autres volontaires des assauts armés contre ces cargos hors-la-loi. On les a appelés pirates somaliens, en montrant des images de violence, se gardant bien d’en expliquer l’origine, qui mettrait en lumière notre part de responsabilité. L’essentiel était de les stigmatiser, afin de légitimer une répression d’envergure militaire. Voici ce que l’un des leaders des pirates déclara :
« Il s’agit de mettre un point final à la pêche illégale et aux déchargements illégaux sur nos côtes. Nous ne nous considérons pas comme des bandits. Les bandits, ce sont ceux qui pêchent illégalement et jettent leurs poubelles. »
Il y a quelques décennies, la solution officielle pour la gestion des déchets nucléaires fut de les balancer dans la Manche et dans l’océan Atlantique. L’abandon de cette folie ne fut pas le fruit de la filière nucléaire qui l’avait mise en place. C’est sous la pression des manifestations et actions qu’elle fut contrariée.
Aujourd’hui, il faut les mettre sous terre. Mais l’opposition locale à chaque endroit les fit reculer. Mais malheureusement, apprenant de leurs défaites, aujourd’hui, ils ont décidé d’acheter les terres pour dissuader les gens d’agir et de déverser des millions d’euros pour obtenir le silence des élus.
« Je rêve d’un peuple qui commencerait par brûler les clôtures et laisser croître les forêts ! »
C’est une citation de Thoreau. Nous avons la forêt qui a été défrichée par l’Andra et nous avons une clôture qui a été abattue. Ce projet apporte la mort avec lui. C’est une condamnation qui pèserait sur des milliers de générations derrière lui. Il est donc nécessaire de le mettre à mort. Il en va de la sauvegarde de l’humanité. La leur, ils l’ont troquée contre des mannes financières, des vigiles tortionnaires et des violences policières. Le 18 février, une personne a été gravement blessée au pied et d’autres ont subi des violences. Et à chaque fois, on parle des violences des manifestants, jamais des violences policières. On prend ce qui nous arrange.
Je ne regrette rien, si ce n’est de ne pas être resté au cœur de l’action collective. J’ai voulu faire tomber une grille de plus, alors que le groupe se repliait. J’ai cru que je serais assez fort pour le faire seul avec une pince monseigneur. Je pensais pouvoir repartir en courant si les gendarmes chargeaient. Malheureusement, le stress s’est déclaré, ma course fut laborieuse, pour finir plaqué au sol par un gendarme. Le projet d’enfouissement des déchets nucléaires doit être freiné, entravé, saboté pour la légitime défense de la santé du sol, de l’air et de l’eau. Petite parenthèse sur ce que vous pourriez répondre : « Oui mais il y a d’autres moyens de lutte ! ». Il faut savoir qu’il y a vingt ans de lutte, vingt ans de moyens légaux utilisés, vingt ans de mépris total. Ne serait-ce que les débats publics. On ne pose pas la question : « Est-ce que l’on fait ce projet ou pas ? » mais on laisse parler en sachant que ça ne changera absolument rien.
Il y a une situation qui est assez intéressante, celle du barrage de Sivens. Là-bas, il y a eu deux usages de la force, celle des opposants et celle des forces de l’ordre. Aujourd’hui, c’est un projet qui a été statué comme illégal. De quel côté était l’usage légitime de la force ? Les policiers ont fait usage de la force jusqu’à tuer quelqu’un, pour défendre un projet illégal. Les autres se sont battus contre ce projet. Cela nous amène à une autre question : faut-il attendre que l’illégalité soit statuée pour commencer des actions ? De plus, la colonisation était légale, l’apartheid aussi. Il a fallu que les gens sortent du cadre légal pour faire évoluer la société. Allons donc au bout des choses : avons-nous forcément besoin de cette société-là, qui se construit sur ces bases légalistes ? Il y a une lourdeur qui se dégage de cette salle. Et le dire, permet déjà d’en réduire l’impact.
Ensuite, sur le fait qu’on nous reproche de ne pas avoir attaqué tout à fait l’Andra : mais l’écothèque est la meilleure de ses vitrines ! Au moment où ils détruisaient la forêt, ils organisaient des balades dans une autre forêt pour faire admirer la nature ! Cela montre à quel point l’Andra se fout du monde. Pareil pour le mur : ils avaient réalisé une affiche qui disait : « Il y a plus facile pour venir nous voir » [où l’on voyait des jeunes grimpant un mur pour voir au-dessus]. Ils excellent au niveau de la communication. C’est là que ça devient effrayant : des gens sont payés juste pour faire passer ce projet dans cette région.
Mais je souhaite dire que dans tous les cas cela ne passera pas. Il y a des gens déterminés, qui n’ont plus peur. Ils savent que des gens risquent de mourir plus tard si rien n’est fait. Ce sont les mêmes personnes qui jetaient les déchets en Somalie ou dans la Manche et qui achètent les consciences et les gens ici. S’il n’y avait pas cet argent, ces 30 millions d’euros, ils n’auraient jamais réussi à le faire ici [en Meuse]. Les élus seraient dans la rue, aux côtés de bien plus de monde. Il s’agit de briser ce cercle vicieux et de dire : « On n’a pas besoin de votre argent, on vivait très bien sans avant. Si des dégradations sont faites, on pourrait prendre les 44 000 euros sur les 30 millions d’euros. On est pauvres, on n’a pas d’argent, on est une classe de pauvres. » Je n’ai pas de richesses. Ceux qui en ont ce sont ceux qui ont le pouvoir. Et qui produit cette richesse ? Les travailleurs. Ce sont eux qui la créent mais ils n’en profitent pas. Ce sont les grands patrons qui en profitent et qui s’accaparent la richesse.
Si j’avais un projet, ce serait : travailler équitablement et se répartir équitablement le fruit de ce travail. Pourquoi avoir un parasite au-dessus de soi qui va prendre cette richesse ? Derrière, les pauvres vont même jusqu’à se suicider. Et tout ça est invisibilisé, car on sait qui l’élite médiatique représente. C’est une réalité que vous ne voyez pas. Mais à un moment donné, ça va péter. Et ça fera mal. C’est important de le prendre en compte. Il me semble que j’ai à peu près fini.
Applaudissements nourris dans la salle
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