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Lola, une fille à pédés révolutionnaire


Entretien avec Lola Miesseroff paru sur TROUNOIR.
Elle nous livre par sa parole et par des extraits de ses écrits, ses impressions sur le FHAR, l’ambiance politique à Bordeaux dans la période 68 et les luttes de l’époque qu’elle a traversé, elle réaffirme la primauté d’une construction politique radicale.

Cet entretien est le fruit de notre première rencontre avec Lola Miesseroff en mai 2018. Quelques mois auparavant, sortait en librairie son Voyage en outre-gauche, Paroles de francs-tireurs des années 68 aux éditions Libertalia. On y trouve le récit de ces bandes révolutionnaires de 68, de leurs liens avec le mouvement étudiant, avec la sexualité, avec la destruction des catégories, avec le combat contre les aliénations pour se libérer toujours plus, avec des expérimentations collectives… Et Lola pratique le passé pour arpenter le présent : « transmettre, mais pas faire la leçon ». Les Assemblées générales, la masculinité et la féminité, le poids des normes sociales, les affinités politiques sont autant d’éléments qui d’une époque à l’autre continuent à former des questions, tant sur les manières de s’organiser que sur le front qu’il s’agit de construire contre le vieux monde. C’est là que Lola place au centre la liberté et l’amitié.
On retrouve ci-après anecdotes et fragments de vie révolutionnaire de notre fille à pédés qui seront dépeint avec ce bouillonnement qui la caractérise, dans son livre Fille à pédés paru l’année suivante aux éditions Libertalia.
Notre discussion actualise les enjeux politiques de la sexualité expérimentés par Lola et les siens depuis leur prime jeunesse. Elle nous livre par sa parole et par des extraits de ses écrits, ses impressions sur le FHAR et les luttes de l’époque qu’elle a traversée et réaffirme la primauté d’une construction politique radicale, d’une position.
Nous conseillons la lecture de l’entretien réalisé avec son amie Hélène Hazera paru dans le 1er numéro de TROU NOIR.

À BORDEAUX

« Bordeaux était alors un pôle de la « contre-culture » et des prémices de la « révolution sexuelle ». Avec la création en 1965 du festival Sigma, « creuset de la création avant-gardiste » qui « électrisa Bordeaux pendant près de trois décennies », et notamment la participation fulgurante, en 1967, du Living Theatre : « Sigma c’est le signe mathématique de la somme, ça se voulait la somme de tous les arts. Il n’y avait rien de comparable dans les autres villes. Il y avait le Living Theatre, Xenakis, la musique électronique, des peintres, un peu de tout. Il n’y avait pas de rapport direct avec les AG, mais tout le monde y allait. Ça faisait partie de la culture locale, donc ça a joué un rôle. » À l’université, on n’était pas en reste puisqu’un professeur de sociologie maoïste (!) organisait dans ses cours « des groupes non directifs de la
parole, sur lesquels s’est greffée une sexualité non directive », « la sexualité en/ou de groupe est à l’ordre du jour » [1]

Anal Wintour : On aimerait, pour commencer, que tu nous racontes ce que tu as vécu ici, à Bordeaux : l’ambiance politique, les évènements, la ville… Le contraste doit être saisissant avec aujourd’hui.

Lola Miesseroff : Bordeaux, j’y suis venu un peu par hasard. J’avais connu des copains à Avignon en 1968 et 1969 que j’ai retrouvés ici. À l’époque, Bordeaux m’est apparue comme une très petite ville. Il y avait deux ou trois endroits où les gens se retrouvaient. Autour de la place Pey Berland, il y avait des cafés : le Pey-Berland, le New York et un truc qui s’appelait la Brasserie des Arts. Il y avait Saint-Michel, le quartier anar où les parents d’une de nos copines avaient un restaurant. Il y avait « tout un milieu et une solide tradition anars », « où les anarchistes espagnols réfugiés avaient fait souche » [2]. Il y avait un local rue du Muguet [3] où il y avait un ciné-club ; il y avait aussi, le festival Sigma. Quand je compare Bordeaux avec les autres villes où les étudiants radicaux ont pris, Bordeaux était très dans la culture. Il y avait Pierre [4] et tous ceux qui le suivaient. Tu avais Bouyxou qui n’a jamais participé au tract « Crève salope » des Vandalistes contrairement à ce que l’on raconte. Il s’en est vanté, mais il n’y était pas.

“En 1967 donc, quelques jeunes gens en rupture de ban s’ennuyaient ferme à Bordeaux, rêvant désespérément d’en découdre avec ces « Chartrons » qui monopolisaient les meilleurs vins, classés dès 1855 et vendus à des prix prohibitifs. On n’avait pas vu d’émeutes depuis la Fronde… C’est dans ce ciel grisâtre — et qui, à certains, devait paraître serein — qu’éclata le 31 mars 1968 un tract signé d’un Comité de salut public des Vandalistes jusqu’alors inconnu : cette feuille était un tissu d’injures adressées à toutes les autorités
(parents, professeurs, flics et curetons) et à tous les impuissants (étudiants en particulier). Ce fut le début de l’affolement chez les fils à bourgeois des quartiers protégés qui fréquentaient l’université” [5]

Lola Miesseroff : Et puis j’ai découvert cette bande qui avait signé ce fameux tract Comité de Salut public des Vandalistes et qui était en fait un réseau. Dans ce réseau de gens, on trouvait des marginaux, certains faisaient des études, d’autres étaient des prolos complets.
Dans les relations entre les gens, les plus proches de l’Internationale Situationniste ne connaissaient pas grand-chose du monde ouvrier. En revanche, le fameux groupe de voyous qui les avaient rejoints avait constitué le groupe Octobre. Claire Auzias, qui a travaillé sur les voyous de Mai 68 [6] a fait un excellent livre là-dessus et continue à travailler sur le sujet. Quand le mouvement de mai 68 s’est arrêté et que les enfants sages sont partis en vacances, eux sont allés s’entraîner. C’est un épisode que même moi je ne connaissais pas. À Bordeaux il n’y avait pas, comme à Nantes, de fortes liaisons avec les ouvriers.
Il y avait des gens très bizarres à Bordeaux, des gens vraiment extraordinaires. Il y avait un mec que j’aimais bien. Il s’appelait Alexis Cassagne, c’était un prolo, il s’était fait casser la gueule pour avoir manifesté en réclamant la retraite à 30 ans. Une nuit, il s’est jeté ou il est tombé du pont de la Garonne on ne le saura jamais. Enfin, Bordeaux était peuplé de toutes sortes de gens étranges.
Autour du café Le Pey-berland, il y avait toute une animation avec des côtés un peu beatniks, des gens plus avancés, des anars, cette bande cryptosituationniste dont je parlais, et puis toute sorte de gens, des artistes, etc. Le Pey-Berland était un endroit magique, extraordinaire, et il était tenu par un vieux couple très convenable.

Anal Wintour : Que vous appeliez Papa et Maman ?

Lola Miesseroff : Oui, tout le monde les appelait comme ça. Un copain m’a raconté une histoire récemment. Un voyou qui sortait de taule était au
Pey-berland quand Maman lui dit : « écoute, je dois aller faire une course
est-ce que tu veux bien garder le bar ? ». Elle lui disait vraiment quelque chose à ce moment-là. Elle était en train de lui dire : « Oui, je sais que tu as fait de la taule, je sais que tu es un voleur, je te donne ma confiance et je veux te le montrer ». D’où cette femme sortait ça ? D’où sortait-elle cette sensibilité de mettre un taulard, un voyou, derrière son comptoir pour lui montrer qu’elle pensait que c’était un mec bien et qu’elle n’en avait rien à foutre du reste ? C’était unique.
À la même époque, il y avait à Bordeaux celui que l’on nommait le déserteur, un mec qui avait refusé d’aller à l’armée et dénonçait la guerre menée par la France au Tchad. Il s’appelait Martinez, je m’en souviens encore. Il arrivait dans des assemblées générales où il prenait la parole et les flics le cherchaient partout.

Anal Wintour : Et après ses interventions, il se cachait ?

Lola Miesseroff : Ça devait être en 1970-71. Il rentrait dans son trou et les flics ne le trouvaient jamais. Au point que la police nous pistait tous, y compris moi d’ailleurs. Comme je venais souvent faire des enquêtes à Bordeaux, ma boîte me payait un hôtel. Il y a une nuit où je ne suis pas rentrée et l’hôtelier m’avait attendue toute la nuit pour fermer sa boutique. Et on commence à s’engueuler, il est violent et il me dit : « De toute façon, quand on est surveillée par la police… ». A cette époque, les hôtels devaient donner à la police des fiches de renseignement que chaque client remplissait. Les flics devaient imaginer que j’étais une envoyée spéciale de je ne sais quoi, alors que je venais pour bosser. Ils étaient assez cons et ils surveillaient tout le monde.

LA PRATIQUE DU TAS

“Toutes sortes de jonctions s’opéraient dans une grande fluidité et nous commençâmes bientôt à faire l’amour en groupe de façon spontanée. Dans ce que nous appelions « le tas », tout était possible, c’était sensuel, c’était tendre et aussi très joyeux. On ne décrétait ni n’organisait un “tas” si ce n’est au dernier moment, quand il nous fallait trouver un lit ou une chambre plus larges pour nous ébattre collectivement.” [7]

Anal Wintour : Dans ton livre, tu racontes quelque chose qui a suscité beaucoup de curiosité de notre part, c’est la pratique du tas.

Lola Miesseroff : Dans notre cas, il y avait des pratiques homosexuelles ce qui n’était pas le cas d’autres gens qui pratiquaient des tas comme ceux de la fac de Bordeaux. Et ce qui est incroyable et que je n’explique pas, c’est qu’en parallèle à Marseille on appelait ça aussi des tas. Quelqu’un a dû rapporter ça, à moins qu’ils nous l’aient piqué à nous, on ne le saura jamais.

Anal Wintour : Mais alors qu’est-ce qui différenciait la pratique du « tas » d’une orgie ou d’une partouze ?

Lola Miesseroff : Nous, on faisait plus que ça et, surtout, on ne le faisait pas de manière systématique. Ça se décrétait sur le moment. C’était la recherche de la transgression, du plaisir, mais du plaisir que l’on obtenait en transgressant ce qui nous était interdit. Tout est sérieux de nos jours alors que nous, on n’arrêtait pas de déconner. Je me rappelle d’un tas, qui a été décisif dans ma vie puisqu’il a généré une histoire d’amour à répétitions pendant de très longues années. On s’est retrouvés à Marseille dans une chambre avec un grand lit. On avait décidé de tous y aller ensemble. Et mon meilleur pote, Christian, avait trouvé un garçon dans le tas à qui il faisait croire que j’étais sa sœur ce qui mettait le gars dans un incroyable état d’excitation. Et puis, à la fin de la nuit, je me suis retrouvée avec un copain qui, à ce moment-là, était avec un garçon. Au petit matin, nous n’étions plus que quatre dans le lit : Christian et son mec, moi et ce garçon avec qui on est toujours amis. Quand son fils m’a dit : « Tu l’as rencontré où, mon père ? », je n’ai pas osé le lui dire. Il faut aussi dire que tout ça se passait dans des réseaux amicaux, sans doute un peu excluants. Tout le monde n’y était pas admis, c’était comme un vase clos un peu élargi. Mais, pour nous, c’était aussi un acte politique. On ne le disait pas au moment où on le faisait, mais toute notre vie était orientée par la pensée que la Révolution allait avoir lieu demain. Tout ça se passe dans la foulée de 68. La révolution arrivait, donc il fallait la préparer. On était tout le temps en train de faire quelque chose. Ça pouvait être sexuel, participer à un mouvement, faire un scandale dans la rue ou ouvrir des caisses au supermarché… Jouer les petites terreurs, quoi. On poursuivait l’idée d’une insurrection totale, on était tout le temps sur la brèche.
On habitait ensemble, mais il ne fallait pas dire en communauté. La communauté, c’est la communauté de la misère. Quand les gens disaient qu’ils habitaient en communauté nous on répondait : « Non, ça n’existe pas ». On vivait en groupe parce qu’on pensait que c’était la meilleure façon pour être actifs. À Paris, on habitait en groupe dans un trois pièces, à la fin on était douze ou quinze dedans. Il y avait deux pièces pour dormir ou autre chose, et une pièce réservée aux gens qui voulaient causer.
Évidemment on avait des lits collectifs donc tu peux imaginer ce qui s’y passait. Et ça a duré un moment puisque, quand on est entrés au FHAR, ça a continué dans un autre appart collectif.

LE FRONT HOMOSEXUEL D’ACTIONVOLUTIONNAIRE

« Le nom que le petit groupe se donna dans la foulée annonçait déjà qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement de libération des homosexuels, mais d’un front révolutionnaire animé par des homosexuels. Parfait pour Jojo, Christian et les autres qui n’entendaient pas se définir par leur orientation sexuelle, mais comme des “révolutionnaires” qui avaient, comme les femmes, une répression spécifique de plus à combattre plus activement. » [8]

Anal Wintour : Le FHAR c’est arrivé comment pour toi ?

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Notes

[1Voyage en outre-gauche Paroles de francs-tireurs des années 68 Lola Miesseroff libertalia 2018 page 103-104

[2ibidem page 102

[4Molinier Pierre Molinier, né le 13 avril 1900 à Agen et mort le 3 mars 1976 à Bordeaux, est un photographe, un peintre et un poète français. Il est surtout connu pour ses tableaux érotiques et pour ses photomontages, mises en scène de son propre corps et autoportraits travestis, où s’expriment son culte de l’androgynie et son fétichisme des jambes.

[5Voyage en outre-gauche Paroles de francs-tireurs des années 68 Lola Miesseroff libertalia 2018 page 106-107-108

[6Claire Auzias Trimards, « Pègre » et mauvais garçons de Mai 68, Atelier de Création libertaire, 2017

[7lola miesseroff Fille à pédés libertalia 2019 page76-77

[8idem page 89

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