Analyses Répression - Justice

Gardes à vues antiterroristes - Comment les biais psychologiques induisent de faux aveux


Un petit groupe de personnes avec des compétences diverses, professionnelles ou pas, autour du traumatisme psychologique et des effets psychologiques de la violence, a été sollicité pour prendre connaissance des témoignages d’interpellations et de gardes à vue de plusieurs des mis·es en cause de l’affaire dite du 8 décembre 2020 (7 personnes accusées d’association de malfaiteurs terroristes d’ultragauche). Au delà des expériences individuelles, ces témoignages laissent apparaître des méthodologies qui nous questionnent fortement sur le crédit qui peut être apporté à des informations obtenues lors de garde à vues longues et éprouvantes dans les locaux de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) et de la Sous Direction Anti-Terroriste (SDAT). Voici les analyses qui sous-tendent ces questionnements.

1/ Mise en place de conditions matérielles favorisant le choc traumatique

L’une des premières choses qui interpelle fortement dans ces témoignages est la mise en scène très intimidante des interpellations, provoquant chez tout le monde, à des degrés différents, de la confusion voire de la sidération traumatique. Pour bien comprendre, il est important de rappeler que c’est la surprise qui crée le trauma. C’est parce que quelque chose d’impensable, d’inimaginable, devient concret, que l’appareil psychique se fige et ne parvient plus à traiter les informations, car ce qu’il connaît et comprend du monde bascule. Cette mise en pause, ce gel de la pensée, est ce que la psychologie clinique nomme la sidération traumatique. Les neurosciences arrivent désormais aussi à expliquer ce phénomène dans leur champ d’étude [1] [2] [3]

Ainsi, quand elles ont pu anticiper les risques qu’elles encourent, les personnes seront souvent moins surprises que celles qui n’ont pas du tout vu venir les choses. Ce qui traumatise et créé un effet de sidération n’est donc pas la violence d’un événement extérieur, mais le niveau d’inattendu de l’événement pour soi.

Les conditions du choc traumatique et l’installation de la sidération

Concrètement, ce qui ressort des témoignages des mis·es en cause du 8 décembre, c’est leur totale incrédulité face au déroulé de l’interpellation, qui les met en grande difficulté pour penser ce qui leur arrive. Les personnes sont réveillées dans leur sommeil à 6h, par les cris d’autres habitant·es ou les aboiements d’un chien, ou alors directement par des fusils d’assaut pointés à quelques centimètres de leur visage par un groupe de personnes cagoulées, lasers rouges sur leurs poitrines. Tous·tes les identifient rapidement comme étant des policier·es et des militaires. Pour celleux qui parviennent encore à traiter les informations, ce n’est pas toujours un facteur rassurant et certain·es craignent une interprétation d’un geste conduisant à leur exécution. Iels s’emploient à décrire ce qu’iels vont faire (sortir du lit, mettre un pantalon) et à s’exécuter au ralenti, pour éviter tout malentendu pouvant légitimer un tir fatal. La peur de mourir, grand facteur de traumatisme, est donc présente chez quasi tous·tes.

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Notes

[1Définition du psychotraumatisme selon Louis Crocq, psychiatre militaire à l’origine de la création des Cellule d’Urgence Médico-Psychologique : « phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur ».

[2"Les traumatismes qui sont susceptibles d’être à l’origine de ces mécanismes psychotraumatismes sont ceux qui vont menacer l’intégrité physique (confrontation à sa propre mort ou à la mort d’autrui) ou l’intégrité psychique : situations terrorisantes par leur anormalité, leur caractère dégradant, inhumain, humiliant, injuste, incompréhensible (l’horreur de la situation va être à l’origine d’un état de stress dépassé représentant un risque vital).

Ces mécanismes psychotraumatiques sont mis en place par le cerveau pour échapper à un risque vital intrinsèque cardiovasculaire et neurologique induit par une réponse émotionnelle dépassée et non contrôlée. Cela se produit quand la situation stressante ne va pas pouvoir être intégrée corticalement, on parle alors d’une effraction psychique responsable d’une sidération psychique.

Le non-sens de la violence, son caractère impensable sont responsables de cette effraction psychique, ce non-sens envahit alors totalement l’espace psychique et bloque toutes les représentations mentales. La vie psychique s’arrête, le discours intérieur qui analyse en permanence tout ce qu’une personne est en train de vivre est interrompu, il n’y a plus d’accès à la parole et à la pensée, c’est le vide… il n’y a plus qu’un état de stress extrême qui ne pourra pas être calmé, ni modulé par des représentations mentales qui sont en panne."

Page élaborée à partir des travaux du Dr Muriel Salmona sur les mécanismes psychologiques et neurobiologiques psychotraumatiques. [https://www.memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/mecanismes.html]

[3"Que se passe-t-il dans notre cerveau quand nous avons peur ? « Deux structures cérébrales sont impliquées, l’amygdale et le noyau du lit de la strie terminale », explique Ron Stoop, chef de l’unité de l’anxiété et de la peur au Centre de neurosciences psychiatriques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). L’amygdale [...] reçoit des messages de nos sens (vue, ouïe, etc.) qui préviennent : attention, danger ! Elle s’active alors, provoquant « cet état de choc dans lequel nous pouvons nous trouver et pendant lequel nous ne savons pas quoi faire », souligne le chercheur."

Comment le cerveau gère-t-il la peur ? (2018), article d’Elisabeth Gordon, Planète Santé [https://www.planetesante.ch/Magazine/Psycho-et-cerveau/Mecanismes-du-cerveau/Comment-le-cerveau-gere-t-il-la-peur]

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