Analyses Écologies

L’injustice sociale et écologique de l’A69 dans le Tarn


Comment rendre un projet moisi populaire ? C’est bien la question que se posent le préfet du Tarn et la société Atosca qui peinent à justifier la légitimité du projet de l’A69 souhaitant relier Castres à Toulouse.
Alors qu’à Bordeaux et ses alentours nous sommes au parfum quant aux mégabassines et au projet de la LGV Bordeaux-Toulouse, quid de l’A69 ?

Mardi 12 avril 2023, le non-illustre ministre de l’écologie, Christophe Béchu assenait à l’Assemblée Nationale que le réchauffement climatique était un phénomène naturel et qu’à cet égard, malgré les différences politiques au sein des députés, ils pouvaient trouver un accord [1]. Des utilisateurs avertis de réseaux sociaux n’ont alors pas manqué de rappeler à notre cher ministre qu’un tel phénomène relevait en réalité de l’activité humaine elle-même organisée selon un ordre du monde bien précis. Cet ordre du monde nous le connaissons bien, c’est celui « maitre et possesseurs de la nature » selon la formule consacrée de Descartes, qui ne s’arrête pas à la simple maîtrise mais bien à l’épuisement de ses ressources.
Néanmoins, en bon citoyen républicain suivons les recommandations de notre ministre et « regardons au cas par cas en fonction des territoires ce que nous pouvons faire » en commençant par le département tarnais et son grand projet : l’A69.

Les avis rendus par l’Autorité environnementale et le Conseil national de la protection de la nature, instance d’expertise scientifique et technique sont catégoriques [2] : il s’agit bien d’un projet moisi. Bien que ce ne soit pas ainsi formulé, voici quelques indices laissant se dessiner une telle appréciation. En premier lieu, ces deux instances soulignent le franc décalage qu’elles disent « contradictoire » avec les enjeux environnementaux nationaux. Alors que l’Accord de Paris décrétait la zéro artificialisation nette et la fin nette de la perte de la biodiversité [3], le projet de l’A69 entend consommer 366 hectares et cela au prix de la destruction de nombreux écosystèmes [4]. L’ensemble du territoire détruit par un tel projet va d’autant plus à l’encontre des enjeux nationaux car ils condamnent des terres agricoles [5] souvent à haut rendement alors même que l’Accord de Paris reconnait l’enjeu futur de l’alimentation [6] causé par le dérèglement climatique. Ces quelques prévisions environnementales devraient suffire à condamner un tel projet aux antipodes des engagements de l’Etat envers sa population. Toutefois, le prix à payer n’est pas seulement environnemental : le projet de l’A69 est coûteux à hauteur de 468 millions d’euros dont 23 millions d’euros [7] gracieusement offerts par l’Etat. Dans le contexte de révolte sociale actuelle, comment justifier la dépense d’argent public dans un tel projet, auquel se surajoutent les mégabassines et la LGV entre nombreux autres ? Plus encore, le coût d’un aller-retour via l’A69 s’élèverait à 20 euros ajoutant au prix de l’essence, aujourd’hui plus que préoccupant pour les travailleurs, celui de l’emprunt d’une route. Qui y trouvera son compte exceptés les quelques instigateurs du projet ? Ne peut-on ici pas accuser l’Etat de compromission et de trahison envers ses citoyens ?

Pas étonnant qu’une tribune signée de scientifiques et de personnalités publiques [8] somme le gouvernement d’écouter les scientifiques du GIEC et d’appliquer dans leur pratique leurs recommandations plutôt que de s’en tenir aux discours. Nommée « A69, l’emblème d’une fuite en avant », ils mettent en exergue le décalage du projet avec les enjeux environnement auquel nous ajoutons celui du contexte économique actuel. Fermer les yeux sur la précarisation des foyers qui accompagne le phénomène d’une éco-anxiété [9] reviendrait à nier les incidences sur la vie qui, manifestement ici, « vaut moins que leurs profits ». En effet, le coût régulier de l’emprunt de l’A69 serait non-négligeable pour le seul de gain de 12 à 15 minutes de temps de trajet [10] ! Bien qu’il ne s’agisse pas d’encourager l’usage de la voiture, il ne revient pas non plus aux travailleurs de souffrir les conséquences d’un tel projet qui détruirait leur environnement quotidien et leur imposerait un coût supplémentaire pour un gain de temps dérisoire. C’est pourquoi nombre d’habitants ainsi que 130 agriculteurs condamnés par la construction de l’A69 ont rejoint la contestation.
Comment diable au vu du rejet du projet de l’A69, l’enquête avancée le 30 mars 2023 lors de la réunion du deuxième comité de développement de l’autoroute A69 révèle-t-elle que 75% des habitants sont favorables au projet ? Selon Franceinfo, le sondage en question a été « réalisé par le cabinet indépendant Odoxa, sollicité par Atosca (société choisie pour diriger les travaux de l’A69) […] (et) révèle que 75 % des habitants du bassin de vie sont favorables au projet, le jugent utile et en connaissent bien les enjeux » [11]. En toute logique, le sondage effectué ne visait pas la neutralité mais toutefois, comment obtient-il le chiffre de 75% ? La première question posée aux sondés était tout simplement : « si l’A69 était aujourd’hui construite, l’utiliseriez-vous ? ». Si la réponse était négative, les personnes appelées ne comptaient pas parmi les sondés et l’entretien téléphonique se finissait. En revanche, si toutes les personnes appelées avaient été comptées parmi les sondés, des habitants me confiaient que l’on s’approcherait de moins de 10% de personnes favorables. En effet, lors des tractages des militants à l’encontre du projet, le nombre d’habitants favorables au projet interrogés sur les marchés est dérisoire. En outre, c’est l’inutilité du projet qui interpèle le plus des habitants en raison de l’existence de la N126 qui relie Toulouse à Castres peu fréquentée, munie de plusieurs tronçons à 2x2 voies et ne traversant qu’un village.

En rouge le tracé de l’A69, en bleu le tracé de l’existante N126.

Plus encore, si l’inutilité de l’A69 est manifeste, le gain de temps annoncé par Atosca de 45 minutes avec la construction de l’A69 en comparaison avec la N126 est liée au nombre conséquent de ronds-points qui s’ajouteraient à la N126 pour y ralentir le trafic et favoriser l’emprunt de l’autoroute.

En d’autres termes, le projet de l’A69 s’accompagne d’un projet de sape de la N126 pour construire la rentabilité du projet. Car les inquiétudes des habitants sont bien écologiques et esthétiques mais aussi financières. L’excellent état de la N126 très peu souvent encombrée démentit la rentabilité du projet de l’A69. Qui paiera in fine le manque à gagner d’une autoroute si peu utile et si chère sinon les habitants du département ?

Se pose alors la question de savoir qui a bien pu décider de mettre en oeuvre un tel projet ? Depuis 40 ans, est avancé le souhait du département de bénéficier d’une autoroute semblable à celle reliant Albi à Rodez dans l’optique de favoriser l’installation des entreprises. Mais quel était l’état de la N126 il y a 40 ans ? Jusqu’en 2008, la N126 n’était pas munie des deux déviations [12] qui ont permis d’accélérer le trajet entre Toulouse et Castres ni des portions à deux voies gratuites pour les utilisateurs. A cet égard, le projet de l’A69 est bien « moisi » et « gâté » parce qu’il répond à des ambitions anachroniques qui ne pouvaient pas prendre en ligne de mire les engagements environnementaux nationaux. Pourtant, un retraité tarnais de Cambounet-sur-le-Sor me confiait déjà à l’époque l’inintelligence du projet de l’A68. Pourquoi faire passer une autoroute au nord du département plutôt qu’au centre afin de la munir de deux branches reliant Castres et Albi à Toulouse ? Ironiquement, de tels projets qui se disent respectueux de l’environnement ne peuvent même pas se revendiquer du « pragmatisme » que Monsieur Béchu appelle de ses voeux [13]. Un second tarnais de Mazamet enjoignait le département à tirer les enseignements de l’autoroute A 68. Nombre d’entrepôts et d’entreprises se sont accumulés sur le bord des routes ternissant le paysage et entravant l’activité agricole. En outre, l’ancienne sablière aujourd’hui reconvertie en grande et paisible base de loisir nommée le Dicosa, célèbre par son implantation dans un écosystème préservé, se trouverait longée par l’A69 au prix de la tranquillité qu’elle offre aux familles et aux espèces implantées. La crèche du Dicosa ne serait alors plus qu’à 60 mètres de l’autoroute. Par conséquent, au regard du Conseil départemental, il semblerait que l’activité économique soit plus digne que l’activité agricole et la vie régionale, confirmant par-là la déloyauté nationale envers l’Accord de Paris et ses enjeux environnementaux. Symptôme de l’absurdité du projet de l’A69 dont les travaux débutent : des ouvriers rechignent à monter sur les machines pour débuter les chantiers tant le projet leur paraît insensé. Pourtant, à ce jour, l’unique communication du département pour populariser le projet tient à vanter la création d’emplois que génère la construction de l’autoroute. En conclusion, difficile de rendre populaire un projet moisi parce qu’anachronique.

Le projet de l’A69 réunit bien autour de convictions. Celles que font désormais vivre les tarnais rassemblés non loin de Revel en bord de la N126 en s’appropriant le début des travaux pour dénoncer son excès et son absurdité. A cet égard, les habitants mobilisés ont organisé le jour de Pâques une chasse aux oeufs dans les fouilles archéologiques qui précèdent les travaux et ont déposé des poteries et bibelots de leurs grands-parents pour signifier que la civilisation à protéger est celle d’aujourd’hui. En conséquence, l’urgence des préoccupations actuelles contraires aux motivations désuètes du projet de l’A69 justifie la lutte vitale qu’elle génère. Si l’on s’en tenait à la définition de la désobéissance civile d’Hannah Arendt, la lutte engagée est bien « significative » [14] en ce qu’elle se construit autour d’un intérêt commun et partagé du plus grand nombre de concernés au nom de la justice.

Notes

[1« Le réchauffement climatique et le dérèglement sont une réalité qui est pas politique mais qui est naturelle. Cessez d’en faire des objets de polémique ! Rejoignez-nous sur les solutions ! Regardons au cas par cas en fonction des territoires ce que nous pouvons faire ! » Christophe Béchu lors des questions au gouvernement sur l’évolution du modèle agricole le 11 avril 2023.

[3Texte de l’Accord de Paris : https://unfccc.int/files/essential_background/convention/application/pdf/french_paris_agreement.pdf « il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans, et à la protection de la biodiversité, reconnue par certaines cultures comme la Terre nourricière, et notant l’importance pour certains de la notion de « justice climatique », dans l’action menée face aux changements climatiques ».

[4Pour plus de détails quant aux conséquences, car elles sont nombreuses, lire en détail la liste dressée par l’Autorité environnementale et le Conseil national de la protection de la nature, instance d’expertise scientifique et technique que résume Extinction Rébellion : https://wiki.extinctionrebellion.fr/books/stop-a69/page/un-avis-positif-de-la-commission-denquete-alors-que

[5Matthier Calame, La révolution agro-écologique. L’auteur souligne l’importance de réfléchir sur le long terme à l’enjeu de l’alimentation notamment préservant de la privation et de la destruction les terres agricoles. Or, les 366 hectares de terre condamnées par le projet de l’A69 sont composées de terres naturelles et de terres agricoles souvent de haut rendement.

[6Le texte de l’Accord de Paris est accessible sur internet : https://unfccc.int/files/essential_background/convention/application/pdf/french_paris_agreement.pdf Article 1« Reconnaissant la priorité fondamentale consistant à protéger la sécurité alimentaire et à venir à bout de la faim, et la vulnérabilité particulière des systèmes de production alimentaire aux effets néfastes des changements climatiques » et article 2 « Renforçant les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et un développement à faible émission de gaz à effet de serre, d’une manière qui ne menace pas la production alimentaire ».

[9Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi. L’autrice met des mots sur le sentiment d’incompréhension et d’angoisse qu’éprouve la jeunesse quant à ses préoccupations environnementales qu’elle subsume sour le terme « d’éco-anxiété ».

[10Selon les les simulateurs d’itinéraires, le gain est de 15 minutes maximum, bien loin des 45 minutes annoncées https://basta.media/Projet-autoroute-A69-castres-toulouse-fuite-en-avant-mobilisation-22-23-avril-grand-projet-inutile-soulevements-de-la-terre)

[12La déviation de Puylaurens est mise en service le 7 juillet 2008 et la déviation de Soual le 19 février 2000.

[13Christophe Béchu lors des questions au gouvernement sur l’évolution du modèle agricole le 11 avril 2023. lance aux députés de l’opposition de gauche « Arrêtez l’idéologie ! Entrez dans le pragmatisme ». Parce que le pragmatisme est un terme connoté issu d’un courant de pensée, il n’est pas le strict équivalent du sens pratique ou de l’intelligence pratique. Il semble à ce titre bien contradictoire avec les exigences du changement climatique.

[14Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, « De la désobéissance civile »

À lire aussi