Quelques mois auparavant, il venait de publier Trente ans de cavale : Ma vie de punk. Il y raconte sa jeunesse à Bordeaux dans les squats, ses débuts musicaux, ainsi que les excès d’une vie dans la marge : beaucoup de drogues et différents larcins qui l’amenèrent quelques temps en prison.
Son plus gros coup, resté dans la légende, est le braquage en 1988, à Toulouse, d’un dépôt de la Brinks. Ils sont une dizaine à l’organiser pendant deux ans. Déguisés en gendarmes, ils parviennent à dérober sans tirer le moindre coup de feu plus de 11 millions de francs, soit 3 millions d’euros, dont une grande partie du butin qui n’a jamais été retrouvée. Tous les membres de l’opération (des artistes, des militants d’extrême-gauche, des anciens d’ETA) se font arrêter dans les deux ans. Le seul, pourtant recherché internationalement, qui manque à l’appel, c’est Gilles Bertin. Il réussit à se faufiler en Espagne puis au Portugal, et à ouvrir un magasin de disques indépendant, tout cela sous une autre identité. En 1992, le tribunal le déclare même mort. Trois ans plus tard, Gilles Bertin découvre sa séropositivité. Maladies, traitements, visites médicales, il se sent affaibli. Malgré tout, et toujours sous un faux nom, il reprend un bar dans une banlieue populaire de Barcelone.
Après 28 ans de cavale, et la naissance de son deuxième enfant, il décide, en 2016, de sortir de sa clandestinité et de passer la frontière dans l’autre sens pour se livrer en France. Il est conscient qu’il risque jusqu’à 20 ans de prison. La justice le condamne finalement à 5 ans avec sursis. Il sait alors qu’il n’ira pas derrière les barreaux et peut reprendre une vie à son nom. Malheureusement, il meurt du sida quelques années après, à l’âge de 58 ans. Nous avons voulu rendre hommage à cette vie hors norme. Nous transcrivons cette discussion qu’il a eue avec son public et ses ami.e.s à Bordeaux. Elle date de 2019 et c’était lors de la parution de son livre :
Une personne du public : Pourquoi c’était important pour toi d’écrire ce livre ?
Gilles Bertin : En fait, c’était le hasard qui m’a fait écrire ce livre. C’est une rencontre avec un journaliste à Toulouse, qui pendant les deux années où j’ai attendu le procès, a proposé l’histoire à son éditrice. Celle-ci a de suite été emballée. Ça s’est fait comme cela. Quand je suis revenu, je pensais être incarcéré, donc je ne m’attendais pas à écrire un livre.
U p d p : Comment avez-vous travaillé ensemble, tous les deux ?
G B : Au début, c’était très difficile, car il était très dirigiste, et avec moi, cela ne marche pas du tout. Après il a dit, « je te laisse faire et on verra » et ça a beaucoup mieux marché. On l’a fait lire à l’éditrice qui a été à peu près convaincue et donc j’ai continué à écrire sans être à peine emmerdé.
U p d p : Est-ce que tu as découvert des choses sur toi-même en écrivant le bouquin ?
G B : Je n’ai pas découvert des choses, mais cela m’a permis de comprendre le déroulement, car je n’avais jamais émis de réflexion là-dessus. J’étais passé à autre chose, tout le temps. Cela m’a permis de réfléchir de Camera Silens jusqu’au braquage, jusqu’à la cavale, etc. De comprendre pourquoi j’avais basculé dans la délinquance. Enfin, ça m’a permis de comprendre… J’ai surtout compris que tout est allé très vite et que j’avais fait un peu n’importe quoi.
U p d p : J’avais un copain qui disait « Si tu veux faire des conneries, fais-les sérieusement ». Dans le livre, on voit qu’il y a quand même un côté sérieux dans ce n’importe quoi.
G B : C’est le paradoxe, c’est vrai. C’est que je ne fais pas les choses à moitié. Tant qu’à faire des conneries, autant les faire bien. On pourrait résumer ces histoires comme ça...
U p d p : On est dans le mouvement des Gilets Jaunes, cela ne t’a pas échappé, on vient de les voir passer, l’hélicoptère aussi. Tu en penses quoi du mouvement ?
G B : Je découvre un peu car je vis en Espagne. L’actualité politique et sociale en France, je ne suis pas au jus. Je ne suis pas d’accord avec tous les Gilets Jaunes car au début je pensais que c’était un mouvement néo-nationaliste. Je me suis rendu compte qu’en fait, la colère est bien plus profonde que ça, qu’en France les gens ont en marre et qu’il faut les écouter. Leur colère est légitime. Donc je suis à fond avec ces gens-là.
U p d p : C’est quoi tes références de livres en ce moment ?
G B : Aujourd’hui, je ne lis plus que de la littérature. Je viens de finir Le Gang de la clef à molette d’Edward Abbey. J’ai énormément lu et je me suis beaucoup nourri durant l’écriture du bouquin.
U p d p : T’as commencé à « faire des conneries », comme tu dis, parce que la musique ne te suffisait plus ?
G B : Oui, voilà. C’était un passage délicat. Au niveau de la musique, on était arrivé à un moment de frustration, à l’époque, Camera Silens n’était pas aussi connu. C’était difficile de trouver des concerts, difficile d’exister. Tout le monde s’en foutait. On répétait, mais il fallait bien bouffer. Moi j’étais incapable de me réinsérer, incapable de travailler à ce moment-là. J’étais un sociopathe. Je suis tombé dans la petite délinquance puis dans la grande. C’est allé très vite, c’était la voie naturelle pour moi. Cela répondait aussi à un désir d’adrénaline. J’imagine que tout le monde n’a pas attaqué une banque, mais c’est vrai que cela procure de l’adrénaline. J’étais accro à l’héroïne. C’était une drogue qui en remplaçait une autre. On peut le voir comme ça.
U p d p : J’ai une question par rapport à Pierre Goldman, qui faisait un distinguo entre sa pratique militante et son activité criminelle. Il refusait qu’on mélange les deux. Est-ce que toi tu fais la même séparation ?
G B : Je n’ai jamais été un militant politique. Je me disais plutôt anarchiste, car inadapté à la société, mais je n’ai jamais été un militant anarchiste convaincu. Donc je ne peux pas faire le joint entre les deux. Je ne peux pas dire que le vol était de la réappropriation comme le disaient les anarchistes individualistes de la fin du XIXe. On s’en foutait dans les poches et on allait le dépenser. Dans certains cas, des groupes redistribuaient. Ils pillaient un supermarché et refilaient tout dans un bidonville. Ce n’était malheureusement pas notre cas. Il faut être sincère.
U p d p : Comment la bande du casse de la Brinks s’est formée et que sont devenus les autres ?
G B : Le noyau, c’était moi, Didier et Iñaki, deux amis de Bordeaux. On s’est retrouvé à Toulouse et on a monté le braquage. C’était notre idée. Après, des gens se sont greffés autour, au dernier moment. Tout était préparé. On leur dit « voilà, il y a ça à faire. Oui, non ? ». Par la suite, mes deux amis sont morts.
U p d p : Est-ce que tu avais conscience d’être devenu un mythe ici ?
G B : Non. Je n’ai pas l’impression d’être un mythe. J’ai l’impression de revenir et de voir des copains. On parle de musique même. C’est plutôt sympa. Bon, c’est bon ?
Applaudissements.