Occupé depuis plusieurs jours avec preuves à l’appui, le squat est officiellement ouvert, avec présence de soutien, dans la journée du 11 novembre. Pendant la journée, la police est informée par téléphone de l’occupation du bâtiment, mais explique qu’elle ne peut pas intervenir et qu’elle va prévenir un élu de la mairie. Les heures passent, et rien n’arrive : ni flics, ni sécurité, ni représentant.es du propriétaire. La nuit tombe, les personnes présentes en soutien se dispersent, les occupant.es restent dans la maison, et la vie poursuit son cours.
Le soir même, aux alentours de 22h30, un agent de sécurité se gare devant la maison et informe les habitant.es qu’il a prévenu la police, qui va venir les expulser. Les occupant.es de la maison demandent alors à des ami.es de venir les soutenir sur place en cas de tentative d’expulsion. Une vingtaine de minutes plus tard, une dizaine de personnes se rendront devant la maison en soutien.
Dans un premier temps, la première équipe de police arrivée sur place accepte les preuves d’occupation fournies par les habitant.e.s. Le policier qui prend le dossier dit à ses collègues, dépités, qu’ils ne peuvent pas expulser. Peu après, pourtant, la brigade cynophile rejoint la première équipe, et un changement se produit. A partir de là, en effet, les flics ne vont plus tenir compte du dossier de preuves, et décider d’expulser le squat, sans que l’on ne comprenne d’où vient ce soudain revirement de situation et ce qui le justifie. On se rendra vite compte que la BAC est aussi présente, mais on ne sait pas quand elle est arrivée.
Plusieurs soutiens des occupant.e.s arrivent alors sur les lieux. Un de nos amis s’approchent d’abord seul à vélo. Il signale aux policiers qui lui disent de partir qu’il a le droit d’être là, et qu’ils se doivent de prendre les preuves d’occupation des squatteurs avant toute tentative d’expulsion. Rapidement, la police le prend a parti, l’empoigne et le pousse à s’éloigner, l’empêchant d’être témoin des évènements.
Le reste des soutiens approche. Trois personnes s’avancent jusque devant la porte du lieu pour soutenir leurs amies, revendiquant le droit des occupant.e.s à rester dans la maison, et sont aussitôt approchées par des flics agressifs, qui les bousculent vers une ruelle adjacente en hurlant « cassez-vous », « dégagez », « ferme ta gueule » et autres joyeusetés. Les trois camarades maintiennent face aux policiers qu’ils ont le droit d’être là et refusent de quitter les lieux. Très vite, les flics sortent les chiens muselés, qu’ils lâchent à répétition sur les trois personnes pour les faire reculer dans la petite rue.
Le face à face dure plusieurs minutes. Un des policiers, qui porte un badge Punisher au genou, s’en prend physiquement à un de nos camarades. Lors de la bousculade, un couteau tombe d’une poche au sol. Un baqueux ramasse le couteau et demande à son collègue si c’est à lui ou à notre ami ; le policier répond que le couteau est à lui et le récupère. Pendant ce temps, les deux autres camarades sont aussi bousculés par la police et les chiens. Un flic profite que l’un d’eux détourne le regard pour tenter de lui mettre un coup. L’autre personne, harcelée par les chiens, finit par saisir l’un d’eux par le harnais pour le repousser. Les flics se serviront de ce geste pour prétendre que le camarade a frappé le chien ; ils l’immobilisent, lui passent les menottes et l’interpellent.
Pendant ce temps-là, devant la maison, les autres policiers décident de procéder à l’expulsion alors qu’aucun OPJ ne semble présent sur place. Quand l’une des occupantes demande à voir l’OPJ, on lui répond : « vous le verrez quand vous serez en garde-à-vue ».
Un flic ramène un bélier et commence à tenter d’enfoncer la porte blindée. Un de nos camarades l’entend dire que c’est juste pour s’amuser, et qu’il compte utiliser ensuite la meuleuse pour découper la porte. Les occupant.e.s continuent de revendiquer leurs droits, et rappellent que l’expulsion doit normalement passer par une procédure juridique et être décidée seulement après un procès au tribunal, mais les flics n’écoutent rien. Comme souvent, peu soucieux du droit, les forces de l’Ordre utilisent la pression et la peur pour arriver à leurs fins. Sous la pression, les habitant.e.s finissent par ouvrir la porte. Les policiers les collent au mur pour les fouiller, prennent leur identités, puis les laissent partir. Une fois le squat expulsé et notre ami interpellé, la situation se calme. Les occupant.e.s et leurs soutiens repartent sous la pluie, à minuit, après une mise à la rue manifestement arbitraire. L’agent de sécurité, présent tout le long de la scène, reste sur place avec les flics.
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Cette expulsion a eu lieu dans un contexte de répression des squats toujours plus soutenue. Alors que plusieurs cas d’application de la récente loi anti-pauvres Kasbarian-Bergé ont été documentés ces derniers temps (voir par exemple ces articles sur squat.net https://fr.squat.net/2023/11/09/mon... et https://fr.squat.net/2023/10/12/les... ), les cadres légaux qui protègent les squats deviennent de plus en plus flous, aidant les forces répressives à expulser dans des circonstances plus que douteuses.
Nous pensons que les circonstances de cette expulsion sont intolérables, et que les flics ont eu intérêt à ne pas garder de traces de leur intervention. A aucun moment les policiers n’ont pu ou voulu justifier de la légalité de leur action et de la présence d’un OPJ, censé coordonner les opérations d’expulsion. De la prétendue « flagrance » invoquée par l’agent de sécurité pour justifier d’une intervention immédiate (et qui expliquerait aussi la présence de la BAC), aucune preuve n’a été donnée. Nos ami.e.s, par contre, n’ont pas cessé de chercher à faire valoir leurs preuves d’occupations bien réelles, qui ont été délibérément ignorées à partir du moment où l’expulsion a été décidée.
Comme cette nuit-là, où les coups de bélier sur la porte et les cris à l’extérieur exerçait une forte pression psychologique sur les occupant.e.s, c’est bien souvent que la police et les huissiers utilisent des moyens crasseux pour faire sortir les gens plus vite ; par exemple, en donnant de fausses informations à des familles étrangères qui ne maîtrisent ni la langue ni les lois, en leur disant qu’elles sont obligées de laisser rentrer la police ou de quitter immédiatement les lieux. Des personnes étrangères, qui vivent, déjà dans des conditions stressantes, peuvent souvent céder aux pressions des flics et donc se faire expulser illégalement sans même forcément le savoir. Connaissant l’impunité générale dont profite souvent la police quand elle agit hors du cadre des lois, s’organiser sérieusement pour ne pas lui laisser cette possibilité apparaît plus que nécessaire. Etre en mesure de réagir en nombre à chaque alerte, en se rendant sur place et en filmant les violences de la police (ce qui est parfaitement légal, contrairement à ce qu’ils prétendent très souvent) contribue à éviter qu’ils se sentent trop à l’aise et libres de faire n’importe quoi.
Les lois qui protègent les squatteur.euse.s, tant qu’elles existent, sont bien la dernière assurance que peuvent avoir des personnes déjà précarisées de ne pas se retrouver trop vite dehors. L’arsenal répressif qui ne cesse de réduire ces lois, notamment en élargissant de façon indécente la notion de domicile, est déjà une atteinte suffisamment grave au droit au logement et à la sécurité des individus pour ne pas en plus accepter que la police les outrepasse impunément, dans le silence de la banalité.
Les squats ne sont pas le problème, mais une réponse à celui-ci. Le seul EPA Euratlantique (propriétaire de la maison expulsée), vaste projet d’aménagement vecteur d’embourgeoisement, laisse déjà pourrir des dizaines de bâtiments vides et habitables sur Bordeaux et ses alentours. Ajoutez-les aux autres, souvent des biens publics ou des biens détenus par de gros bâilleurs sociaux qui n’en font strictement rien, et vous avez de quoi loger « toute la misère du monde ».
Criminaliser le squat sans traiter la crise du logement, et même en l’aggravant via des projets hors-sol et nocifs à tous points de vue : voilà comment l’Etat bourgeois prétend mettre un pansement sur une plaie gangrenée. Face à ce mépris et à cette violence institutionnalisée, il ne nous reste que l’autogestion et l’organisation collective pour espérer vivre autrement et s’entraider dans les coups durs. Des collectifs locaux de soutien aux squats, aptes à faire masse dans ce genre de situations et à potentiellement mettre leurs corps en jeu pour empêcher des expulsions, risquent de s’avérer de plus en plus indispensables face à l’autoritarisme qui s’avance.
Des squatteureuses de gironde, 20/11/2023