Peu importe qu’on lui accole le préfixe « éco » ou qu’on lui préfère le terme de désarmement, la sémantique du sabotage occupe ces dernières années une grande place dans le champ politique, tant dans les discussions qui animent les milieux radicaux que dans les discours des politiques, les réunions de famille ou encore dans les films d’action.
Nous sommes deux mois après une campagne d’actions « contre Lafarge et le monde du béton » où Lafarge et consorts ont vu à plus de 40 endroits en France, en Suisse et en Belgique leurs sites être envahis, leurs câbles électriques sectionnés, leurs machines endommagées, etc., [1] sans oublier le site du géant mondial CEMEX à Berlin qui a été partiellement ravagé par les flammes le lendemain de Noël. [2]
La teinte écologiste donnée à la pratique du sabotage, apparu dans les usines il y a deux siècles, peut sembler toute récente. Signe d’une radicalisation violente du mouvement écologiste pour certains ou d’un renouveau des tactiques d’actions dans le champ de l’écologie pour d’autres, on a tendance à oublier que saboter les infrastructures responsables du ravage écologique ne date pas de la dernière saison des Soulèvements de la Terre.
Comme en témoignent le sabotage à la bombe de la centrale nucléaire de Fessenheim par le « Commando Puig Antich-Ulrike Meinhof » (dont Françoise d’Eaubonne faisait partie [3]) et le sabotage simultané de deux sites du constructeur de centrales nucléaires Framatone en 1975, la question de l’usage du sabotage se posait déjà dans le mouvement écologiste il y a quelques dizaines d’années.
Nous proposons ici de nous repencher sur un épisode trop peu connu des luttes écologistes, parce que les luttes passées ne doivent pas être à ranger au musée des révolutions manquées, mais au contraire doivent constituer un héritage conséquent permettant de mieux penser et lutter dans le présent.
En espérant que ce numéro, plus que jamais d’actualité, permette d’irriguer les imaginaires de luttes d’une année 2024 quadrillée de béton, de Jeux olympiques, de mégabassines, d’autoroutes et de LGV.
Le texte suivant est une retranscription du deuxième numéro de la revue Ecologie paru en Août-Septembre 1975. Ce numéro est le fruit d’une enquête ménée par l’équipe d’Ecologie, qui rassemble les communiqués de revendication des groupes qui ont mené des actions, ainsi que les communiqués et réactions de différentes organisations qui composent le mouvement anti-nucléaire de l’époque (Les Amis de la Terre/Paris, Mouvement Ecologique, Fédération Anarchiste, PSU...)
Vous pouvez télécharger le numéro de la revue au format pdf ici :
Eco-sabotage - L’enquête
Première constatation
L’éco-sabotage n’a pas donné lieu à des déclarations spontanées des groupes
locaux, exception faite pour le C.S.F.R. [4]. Le sujet est délicat, sinon dangereux : "On ne vous répondra pas, pour ne pas faciliter le travail des R.G.”.
Mais c’est une pratique qui a reçu une grande diffusion : "Maintenant, je n’espère plus convaincre la population. Je consacre tous mes efforts à faire qu’en cas d’attentat, les gens ne soient pas trop hostiles, qu’ils comprennent, même sans approuver,..."
Seconde constatation
Les groupes sont divisés et redivisés là-dessus.
Quant à l’équipe d’Écologie, elle a hésité à publier ce dossier devant la
confusion de pensée qui émane de la plupart des réponses et qui semble s’être emparée des groupes à l’occasion de ce débat. ON EN RECAUSERA.
Communiqué des auteurs de l’attentat du 3 mai de Fessenheim
“Nous revendiquons ce qui vient de se passer à Fessenheim. Nous avons pris toutes les précautions possibles pour que ne soit menacée aucune vie humaine. C’est ainsi que nous contribuons au combat antinucléaire, espérant arrêter (ou retarder) le fonctionnement de cette centrale.
Attendu qu’ensuite, il serait trop tard pour employer ces moyens.
Le capital n’hésite plus à passer de son génocide traditionnel (guerres, usines, prisons) au génocide plus radical que représente, entre autres (bombes à dépression l’industrie nucléaire.
Plus de temps pour polémiquer : la défense de l’atome est grotesque dans la bouche de gens qui ont pourri de mercure les eaux du Rhin, plus encore que celles de Minamata [5], où le capital se défend avec miradors et barbelés contre la colère du peuple.
Nos ennemis sont les mêmes, au Japon comme ici : les multinationales. La pollution est elle-même une bonne affaire pour les multinationales qui vendent ce qui ne l’avait jamais été : l’oxygène et l’eau, devenus marchandises.
Notre action, non-contradictoire avec les mouvements populaires comme ceux de Wyhl ou Marckolsheim, [6] est l’expression de la protestation primordiale de la vie contre le capital coupable de génocide, dernier stade de la société patriarcale d’oppression.
Le maintien du salariat lui-même est devenu un non-sens meurtrier. Nous n’avons pas plus besoin d’énergie nucléaire que de travailler tout le jour pour produire des gadgets. La productivité forcenée est devenue l’ennemi planétaire. Et le combat du prolétariat des pays développés rejoint objectivement celui des pays du tiers-monde.
Qu’il soit des femmes, des enfants, du tiers-monde ou du prolétariat, le combat se doit d’être total. Rappelons que les femmes, à Wyhl (70% de "non” féminins à l’atome) comme ailleurs, sont à l’avant-garde du refus nucléaire, qui n’est que le dernier mot de cette société bâtie sans elles et contre elles.
Commando Puig Antich – Ulrike Meinhof [7] [8]"
(A.P.R.E. n° 142 - G.D. 14 Mai)
Remarques du C.S.F.R. à propos de cet attentat
"1- Cette façon de faire ne correspond pas à nos méthodes de travail. Nous l’avons prouvé durant de longues années et nous l’avons redémontré à Marckolsheim, à Kafseraugat (Suisse), et à Wyhl (Allemagne de l’Ouest, Pays de Bade). Nous répondrons par une stratégie non-violente aux attaques à la barre de fer et aux bombes incendiaires dont nous sommes fréquemment l’objet de la part du groupement "K.N.W Ya" de Whyl
2- Nous n’avons pas à parler de jugement sur les autres, d’autres groupes qui travaillent dans l’ombre et qui utilisent des méthodes autres que les nôtres. Mais il est certain que, si la démocratie au sens réel du terme avait fonctionné dans le cas de Fessenheim, si les pouvoirs publics avaient fourni aux populations concernées toutes les données du problème nucléaire, un vrai débat public aurait pu s’instaurer et nous aurions pu tous ensemble choisir notre avenir. Celui-ci n’a pas eu lieu, mais maintenant encore nous luttons pour l’obtenir. De plus en plus de scientifiques sont avec nous.
3- Nous entrevoyons trois possibilités :
ou bien les responsables de la centrale de Fessenheim veulent démontrer que nous ne sommes pas assez dures,
ou bien ils veulent récupérer le mouvement écologique,
ou bien encore, on veut faire avorter la manifestation que nous organiserons le 25 mai à Fessenheim, ensemble avec tous nos sympathisants allemands, français, et suisses, pour un moratoire, un arrêt de l’industrie nucléaire.
Mais ces manœuvres n’arrêteront pas le mouvement de réflexion authentique sur les avantages et les risques de l’industrie nucléaire, qui s’est amorcée ces derniers temps."
C.S.F.R – S.O.S. Plaine du Rhin"
A.P.R.E numéro 140
Communiqué des Amis de la Terre [9]Paris (Libération, 9 et 10 Mai 1975)
"Les Amis de la Terre de Paris tiennent à exprimer leur solidarité avec les responsables du sabotage de Fessenheim. Ils ne peuvent qu’admirer l’habileté avec laquelle cette action a été menée : elle a été efficace, elle n’a pas provoqué de victimes, elle est particulièrement opportune. Les Amis de la Terre ne savent pas manier d’explosifs et ne le souhaitent pas mais ils sont favorables à l’arrêt du programme de constructions des centrales nucléaires. Le sabotage des réacteurs de Fessenheim n’est pas un acte isolé : il s’inscrit dans un mouvement antinucléaire qui prend chaque jour plus d’ampleur sous des formes variées. La centrale de Fessenheim est la première du programme nucléaire français E.D.F-Westinghouse et sert de référence à toutes les autres, son implantation n’a pas fait l’objet de discussions, les rapports de sûreté n’ont pas été rendus publics, la population a manifesté plusieurs fois son opposition, les voies de droit ont été épuisées. Construire des réacteurs nucléaires aujourd’hui, c’est engager l’avenir pendant des millénaires, il est normal de s’y opposer par tous les moyens qui ne mettent pas en danger les vies humaines."
2e communiqué des auteurs de l’attentat de Fessenheim
"Nous revendiquons le sabotage de Fessenheim, qui aurait dû rentrer en fonction à la rentrée, et qui ne pourra fonctionner que l’année prochaine. Ce qui dément totalement Les mensonges de l’E.D.F. et de la presse lèche-pouvoir sur les "dégâts minimes" dont le seul Canard Enchaîné a dénoncé l’ampleur. Nous avons pris toutes les précautions possibles pour que nulle vie humaine ne soit menacée. L’EDF peut-elle en dire autant ?
Nous déclarons de surcroît :
QUE nous avons pas d’avantage besoin de centrales nucléaires que de travailler tous les jours à la chaîne pour produire les gadgets de cette société de consommation » (du talc Morhange, de la bombe Quick Glass, ou de "dépression", ou atomique)…
QUE le salariat est aujourd’hui le non-sens le plus meurtrier,
QUE nous avons choisi délibérément pour second nom Ulrike Meinhof en rappel du fait que les femmes sont en tête (70% de « non » féminins à l’atome) du refus de ce nucléaire qui n’est que le dernier mot capitaliste de cette société bâtie sans elles et contre elles,
Que tous ceux, et toutes celles, qui nous approuvent et se réjouissent nous imitent.
L’ECO-SABOTAGE EST COMMENCE.
Commando Puig Antich-Ulrike Meinhof"
(A.P.R.E numéro 142)
Position du Mouvement Ecologique [10]
"Le collectif approuve le communiqué des Amis de la Terre de Paris par lequel ils se déclarent solidaires des auteurs du récent sabotage du chantier de la centrale nucléaire de Fessenheim."
(A.P.R.E. n° 143)
Le P.S.U. [11] rappelle que
"Seules les démonstrations de masse, comme celle de la semaine antinucléaire, ou la marche internationale sur Fessenheim, peuvent faire reculer l’application de son programme."
(A.P.R.E. n° 142, Libé 7 et 10 mai)
La C.F.D.T. d’Alsace
fait savoir qu’elle condamne "l’utilisation du terrorisme comme moyen de pression pour justifier une position."
(A.P.R.E. n° 143)
2e communique du C.S.F.R.
"Les associations alsaciennes, badoises et suisses de défense de l’environnement organisatrices du rassemblement international de Fessenheim du 25 Mai 18975, se sont fixées comme but, de faire connaître aux populations les dangers et les risques de l’industrie nucléaire, généralement minimisés voire niés par ses défenseurs. Pour y parvenir, elles ont choisi de s’informer en permanence elles-mêmes, d’informer et de sensibiliser, à son tour, l’opinion publique. Les méthodes d’action non-violentes qu’elles ont adoptées et mises en pratique depuis des années, leur paraissent le mieux répondre aux objectifs qu’elles se sont fixés. Souvent ignorées des pouvoirs publics, elles bénéficient néanmoins aujourd’hui, à force de persévérance et de sacrifices, d’une audience accrue et de sympathies toujours plus nombreuses...
Si nous nous sommes désolidarisés du plasticage de Fessenheim, cela ne veut pas dire pour autant que nous nous solidarisons avec des pouvoirs publics dont le refus de dialogue nous oblige à appeler cette nouvelle manifestation.
Le C.S.F.R"
(Publié dans La Gueule Ouverte, [12] 21 mai 75)
3e Communiqué du Commando Puig Antich - Ulrike Meinhof
"3 mai 75 : un instrument de mesure fabriqué à l’unité, la pompe du circuit hydraulique… saute. C’est en plein cœur de la centrale nucléaire de Fessenheim. Agitation de la population et des journalistes autour des grilles. Les autorités compétentes des lieux se refusent à tout commentaire pour la presse, jusqu’à minuit. Europe 1, à 11 heures, s’irrite : "le moins que l’on puisse dire est qu’on ne facilite pas le travail des journalistes".
Et tout de suite après, la presse bourgeoise s’aligne sur les consignes de minimisation. Chacune à sa façon, la feuille (petite ou grande) proclame : "les dégâts sont minimes".
Consigne idéologique.- mince entrefilet dans "France-Soir" ; black-out total dans "Politique-Hebdo".
Chacune à sa façon, la feuille (petite ou grande) proclame : apatrides, fauteurs de guerre civile... et de gens dont "le franc ne se remet pas".
"L’Humanité" : même son de cloche, même langage.
notre bref communiqué transmis à l’AFP n’est retransmis que par "La Gueule Ouverte" et "Libération".
"Le Monde" se scandalise, en un long article sur la succession de l’aristocratie du savoir à celle de l’épée et réclame un hyperfonctionnement de la démocratie bourgeoise : voici sa manière de tirer parti de notre communiqué qu’il s’est bien gardé de reproduire, du moins le passage : "la fonction du scientifique, à savoir du spécialiste de la connaissance, doit maintenant disparaître".
"Le Monde" est ainsi complice objectif des “partisans du moratoire” et de la résignation, rangés comme eux et aussi socialistement sous la bannière de l’impérialisme yankee.
Tout ce beau "Monde", disposé à discuter le bout de gras, se prépare à nous accorder Fessenheim comme prototype, avec quelques concessions à la clef. Justement, prototype ? Fessenheim, ce Frankenstein né du cerveau de l’impérialisme U.S. (pas assez détraqué pour l’utiliser sur son propre territoire), est trop un prototype pour que quelque chose de la vérité même ne transpire pas : "Le Monde" lui-même reconnaît "la parfaite connaissance des lieux" par les saboteurs, mais surtout "Le Canard Enchaîné" seul accorde un article à l’ampleur des préjudices matériels et à leurs conséquences parlementaires.
L’impact de notre action ne peut donc être ignoré en ce qui concerne ce monstre prototype. Les "Amis de la Terre" l’ont compris. Ce n’est qu’un début :
CEUX QUI NOUS APPROUVENT NOUS IMITENT
12 mai 75. Commando Puig Antich-Ulrike Meinhof."
Communiqué des auteurs de l’attentat de Framatone, 6 JUIN 1975
"6 juin 1975, 4 heures du matin. Deux attentats simultanés ont frappé :
le cerveau électronique de l’administration centrale de Framatone à Courbevoie, un des plus gros ordinateur de France”
un atelier de vérification de vannes destinées aux centrales nucléaires à Argenteuil.
Framatone instaure le black-out (surtout après la mort du jeune ouvrier italien irradié cette nuit). Nous revendiquons ces deux attentats sans estimer avoir vengé cette mort.
Le procès Baader [13] reprend aujourd’hui à Stuttgart. Ce n’est pas un hasard si le même béton constitue les structures des bureaucraties et des forteresse-prétoires ; c’est la marque de l’impérialisme américain,
Nous félicitons nos camarades du commando Puig Antich – Ulrike Meinhof pour l’ampleur des dégâts commis à Fessenheim, mais nous ne ferons pas de publicité
gratuite à Lecanuet.
Après Fessenheim et la Maison de Suède, après l’attentat de notre collectif international contre le consulat d’Allemagne à Nice, après les amis de J.C. Milan, nous comptons bien que d’autres se dresseront pour arracher la Fraction Armée Rouge et nos camarades GARMENDIA et OATEGUI [14] à la monstrueuse machine qui les écrase aujourd’hui et nous écrasera demain.
Notre projet de guérilla urbaine est possible, logique, réaliste et réalisable !
Commando Garmendia-Angela Luther [15]"
Fessenheim a été "frappé au cœur". Par le cerveau de Framatone, nous avons frappé à la tête / Mort au système de la mort.
(G.O. 11/6/75, A.P.R.E. numéro 147)
Après l’attentat de Framatone, le mouvement écologique
"Le mouvement Écologique, qui mène depuis la candidature Dumont [16] une ardente campagne d’information et de manifestations antinucléaires appelle l’ensemble des citoyens et pouvoirs publics à prendre conscience de la très grave signification des sabotages effectués précédemment à Fessenheim et le 6 juin contre les installations parisiennes Framatone, constructeur de centrales nucléaires.
La société nucléaire ne peut être, répétons-nous depuis un an, qu’une société hypercentralisée, exposée à n’importe quel coup de main et contrainte de se transformer en société policière.
Est-ce de cette société, dont le seul avantage serait de nous livrer quelques gadgets électriques de plus, que veulent les citoyens français ?
C’est pourquoi le Mouvement Écologique lance un appel pressant à la population, afin qu’elle refuse le nucléaire et par là même désamorce le processus d’escalade à la violence qui nous engage actuellement dans une société anti-démocratique et invivable."
(A.P.R.E. numéro 147)
2e Partie : Réponses entre deux chaises
Combat Non-violent numéro 64
(extraits) "Les non-violents avaient-ils à lever les bras au ciel devant cette action et devaient-ils abandonner le soutien des causes... explosives ? (...) Je me suis dit qu’un bon sabotage bien propre n’était pas incompatible avec la non—violence. A mon avis c’est une question de scénario… il faut jouer « fin ».
On peut toujours discuter du scénario, ce qu’il faut comprendre c’est le pourquoi du sabotage. Les écologistes s’usent depuis quelques années à informer. Ils ont tout dit ou presque. (...) D’une certaine façon cela a porté des fruits. L’écologie est devenue à la mode, qui dit mode dit fric, publicité, profit. On l’a servie à toutes les sauces. E.D.F. s’est même permis de vanter le nucléaire en ces termes "Une énergie qui ne pollue pas...” (sic).
LE PUBLIC EST-IL INFORME ?
D’une certaine façon, oui. La propagande d’EDF bat son plein (...) Si bien que ma foi le public s’habitue peu à peu à cette idée que l’industrie nucléaire est inévitable. Seulement le jour où EDF prospecte leur site, les gens commencent à voir les choses autrement (…) et puis enfin ces bruits que font courir les écologistes, qu’on finit par écouter et qui restent sans démenti (...) C’est compliqué à comprendre dans le détail mais on finit par avoir peur, une peur raisonnée et raisonnable.
Le problème reste que (...) la prise en charge par les populations de leur résistance - dont les écologistes ont le grand souci - tout cela demande du temps. (…) Et c’est le nucléaire qui gagne la course contre la montre.
Alors des sabotages comme celui de Fessenheim semblent avoir des aspects positifs :
1) Ils mettent le programme en retard.
2) Alors des sabotages comme celui de Fessenheim semblent avoir des aspects positifs :
Population non consultée, constructions qui commencent avant les résultats des enquêtes et sans permis de construire. Comme au Larzac tout est décidé en haut et les intéressés sont les derniers avertis.
Si le gouvernement était sur le point de faire marche arrière, des actes de terrorisme comme celui de Fessenheim seraient à regretter, mais s’il est question d’implantation coûte que coûte des centrales partout et couvrir la France de pylônes alors ces actes ont valeur de résistance."
Terrorisme Non-Violent
"Y a-t-il vraiment une différence de nature entre l’occupation illégale d’un site et un sabotage visant exclusivement le matériel ? Ou seulement une différence de degré dans l’action.
Lorsqu’on demande un moratoire sur le nucléaire est-ce à dire qu’on a besoin de réfléchir ? Quand on dit "on arrête, on réfléchit" c’est que l’on a déjà réfléchi nous les écologistes ; les 5000 scientifiques de l’appel ne demandent pas un moratoire mais l’arrêt immédiat du programme.
Au temps de la réflexion, il faut faire succéder celui de l’action réfléchie. L’attentat technique très propre n’est à la portée que de techniciens. Par contre ce qui est à la portée de tous c’est le harcèlement téléphonique. "Arrêter le travail, quittez l’usine, ça va sauter".... Plaisantins ? Fausses nouvelles ? Et si c’était vrai ? Prendre la responsabilité de faire évacuer le chantier pour des prunes ou risquer la mort des ouvriers ? Qui résistera à un tel dilemme s’il devient quotidien.
Le moratoire, l’arrêt, il faut l’imposer sinon c’est le monde fou et suicidaire du nucléaire qu’on va nous imposer : occupons pacifiquement les sites projetés, qu’ils deviennent terrains de camping, de fête, d’information et harcelons par téléphone les chantiers en construction. La répétition d’un gag qui n’aura rien de comique rendra peut-être superflues des exploitations qui pourraient bien être tragiques."
CNV
"Pour cette action prendre contact avec le Comité anti-nucléaire correspondant à la centrale en construction et faire en sorte qu’elle ne ressemble pas à un canular. Prévenir simultanément la gendarmerie, la préfecture et les responsables du chantier."
LE CRIN
"Nous n’avons pas à condamner les actes de sabotage qui ont pour but d’arrêter le programme nucléaire dans la mesure où les groupes qui les pratiquent ont été conduits par leur analyse de la situation à penser que c’est le pouvoir qui use de la violence et que c’est pour eux le seul moyen d’agir. L’absence totale de débat populaire et de consultation réelle face à ce programme persuade ces groupes que la violence est le seul recours pour sensibiliser l’opinion à la gravité d’une situation sans précédent créée par les implantations - pirates - de centrales nucléaires. Le CRIN, en tant que Comité d’Information, à pour sa part choisi d’autres formes d’action."
La Fédération Anarchiste
"Les militants de la Fédération Anarchiste poursuivent leurs actions de propagande généralement sans utiliser la violence, ceci surtout pour deux raisons :
La violence marginalise l’action, et l’isole des travailleurs (à tort ou à raison).
La violence appelle à la répression, et ainsi de suite jusqu’à ...très loin.
Certains groupes considèrent que l’usage, en 1975, en Europe, de la violence, constitue une réponse adaptée à la violence institutionnalisée de l’État ; nous ne condamnons pas cette analyse, mais elle nous semble totalement inadaptée aux circonstances actuelles.
Les groupe qui ont participé aux attentats sabotages à Fessenheim (EDF) et à Argenteuil (Framatome) revendiquent la responsabilité de leurs actes. Nous ne pensons pas que leur méthode soit la plus efficace, ni la plus justifiée pour les raisons évoquées ci-dessus. Nous avons tendance à nous méfier de groupuscules prenant le nom de "’héros” pour lancer quelques bombes. La violence groupusculaire s’inscrit à l’heure actuelle dans le contexte évident (procès Baader-Meinhof, affaire de Stockholm, [17] enlèvement de Berlin, [18] etc.) de l’exploitation faite par la grande presse de tout ce qui peut contribuer à renforcer la campagne anti-anarchiste, qui reprend toute sa vigueur depuis quelques mois.
Ces raisons nous empêchent d’applaudir sans réserves à l’action des groupes « éco-saboteurs », et de les imiter massivement.
Deux groupes nous ont répondu qu’il ne leur avait pas été possible de dégager une attitude unanime. Nous préférons, pour cette raison, ne pas les nommer. Mais il ne nous a pas semblé inutile de faire connaître, par quelques extraits leur état d’esprit :
"La lecture de votre lettre à susciter une vive discussion au sein du groupe (…) Il est impossible de rendre compte d’une opinion très précise, qui serait celle du groupe : il n’y a pas, loin s’en faut, l’unanimité sur le problème. De toute manière, il n’est pas question pour nous d’exprimer publiquement notre solidarité, ni au contraire, de nous désolidariser des auteurs des attentats (...) la question s’est posée de savoir s’il était utile et nécessaire de répondre à votre demande. Une petite partie du groupe pensait que c’était parfaitement inutile car selon eux :
C’est facile d’apporter son soutien aux attentats tout en voulant rester non-violents. (cf. Les amis de la Terre)
Le jour où la nécessité de procéder aux actes terroristes sera inéluctable, il sera inutile de le crier sur tous les toits. (...) Pour le reste du groupe, une étude de ce problème peut permettre de clarifier l’ambiguïté dans laquelle se trouvent les groupes écologiques violents ou non-violents.
(...) Que ferait le groupe si l’on se trouvait dans une situation où seul l’attentat paraîtrait être le moyen le plus efficace de faire reculer le pouvoir ?
un certain nombre d’entre nous ne savent pas si, tout en se déclarant prêt à ce genre d’action, ils seraient capables de l’assumer le moment venu.
une autre partie d’entre nous constate qu’inévitablement le terrorisme coupe de la masse, que le mouvement écologique doit rester un phénomène de masse (…)
Nous tombons tous d’accord pour dire que tout acte offensif (quel qu’il soit) ne peut avoir de valeur qu’intégré dans un fort mouvement populaire. Les partisans des attentats ne les approuvent que dans la mesure où ils s’intègrent dans une stratégie non-violente (...) Cette définition exclut donc tout acte terroriste à caractère uniquement symbolique. (…)
Citons le rêve de l’un d’entre nous : l’occupation d’un chantier nucléaire par une foule d’opposants qui lui font sa "fête".
Réflexions Personnelles
"La violence ne peut qu’entraîner une escalade incontrôlable, risquant de dévaluer les meilleures causes. Je pense que stratégiquement et politiquement parlant, la non-violence est autrement positive, car elle prend l’adversaire hors de sa garde, en ne jouant pas le jeu attendu. (...)
La violence, elle, aussi légitime soit-elle, est obligée d’utiliser de plus en plus d’armes, et son utilisation, une fois reconnue comme partie intégrante d’une catégorie, ne peut plus être changée, L’exemple, à mes yeux, le plus remarquable est l’image de marque qui s’attache aux anarchistes.
Ceux-ci ont beau se défendre et proclamer leur non-violence, ils traînent toujours les attentats du siècle dernier, même s’ils n’étaient que le fait d’une minorité. Les détournements, les utilisations, les provocations également, sont particulièrement facilités par les adversaires, une fois qu’il est admis qu’il est possible que vous soyez l’auteur d’un acte de violence (…)
Le deuxième attentat contre Framatone nous a fait prendre (Mouvement Écologique) une position beaucoup plus nette. Même si nous avons été contents de voir casser toute cette belle mécanique, il est indéniable que cette voie risque de nous faire perdre en très peu de temps tout le bénéfice de notre action depuis des années auprès de l’opinion publique. Tactiquement parlant, je crois que ce serait négatif. (…) Même si par des moyens violents on pouvait causer de grands dégâts, il n’y aurait là qu’un problème d’argent et de technique, et qui serait résolu, d’une manière ou de l’autre. Ce qui est important, c’est de prouver l’absurdité d’un système, ou d’en démontrer les défaillances."
P.C. Joinville
"Ces attentats m’ont réjoui. Dégâts matériels importants (…) pas de victimes (…). Un retard dans la mise en route de réacteur de Fessenheim (…)
Mais la vraie question est ailleurs : ces attentats peuvent-ils s’intégrer dans la lutte que nous menons contre le programme nucléaire ? (…) il faudrait s’entendre sur termes « violence » et « non-violence ». Pour moi, la violence, c’est une attaque de la personne humaine. Détruire du matériel, même à la bombe, ce n’est pas de la violence. Ou alors il faut écrire Matériel avec un grand M majuscule et inscrire au code pénal une nouvelle variété de crime, le crime de lèse-matériel.
Mais admettons qu’un tel attentat puisse être assimilé à de la violence (suivant en cela les grands prêtres de l’ordre établi). Que représente cette prétendue violence face à celle d’un pouvoir économico-politique qui décide de notre avenir sans nous consulter, qui prend pour nous le risque de nous lancer dans une aventure complètement folle (mais très logique dans l’optique de la recherche du profit), qui installe et perpétue sa domination par la violence policière ? Si violence il y a, elle est du côté du système. Il faut la mauvaise foi d’un ministre de l’Intérieur ou journaliste aux ordres pour ne pas vouloir s’en rendre compte.
Il reste que notre combat va bien au-delà du fait de savoir si les centrales nucléaires seront construites ou non. Le problème, nous le répétons assez, est celui du type de société que nous voulons. La société d’Hommes Libres que nous souhaitons, nous ne pourrons la construire qu’avec la participation de tous. Et l’action d’une minorité, si elle n’est pas largement comprise et soutenue, ne peut aboutir, surtout quand elle revêt des formes pouvant être qualifiées de "violentes", qu’au rejet de cette minorité du reste de corps social et à son anéantissement (cf. bande à Baader).
Si quelques résultats ponctuels intéressants peuvent être obtenus (comme à Fessenheim et Framatone), nous n’aurons cependant pas beaucoup avancé vers notre véritable but, qui est la prise de conscience par tous de notre oppression et la prise en main par chacun de sa propre vie.
En fin de compte, ces attentats ne peuvent s’expliquer que comme des actes de gens sans illusions, ne voyant plus aucune issue à cette société bloquée, et exprimant par la chimie leur révolte profonde parce qu’ils ne voient plus rien d’autre à faire.
Les condamner ? Il n’en est pas question. Qui de nous, après des années de lutte sans grands résultats, dans ses moments de découragement (ou de lucidité), n’a jamais eu envie de tout faire sauter ?
Qui de nous n’a pas eu la tentation du recours à la violence contre des individus bien précis, particulièrement ignobles et dangereux. D’autres viennent de passer du désir plus ou moins conscient à l’acte. Si une condamnation doit être prononcée, c’est à l’encontre d’un système qui ne laisse pas d’autre choix que celui-là.
Ce qui ne veut pas dire que les attentats à la bombe soient une forme d’action efficace et souhaitable. Il ne s’agit pas ici de les encourager ou de cautionner par avance tous les attentats qui pourraient avoir lieu. Les provocations policières, ça existe ; la récupération d’actes "violents" par le pouvoir comme alibi à la répression de mouvements qui n’y sont pour rien, ça existe aussi. Il faut donc être prudent. Mais, au nom de sacro-saints principes de non-violence, condamner les attentats de Fessenheim et de Framatome, c’est aussi rentrer dans le jeu du pouvoir et justifier la répression éventuelle d’individus isolés qui n’ont fait que réagir à une situation intolérable. Ce qui serait encore plus intolérable, c’est que de telles réactions ne se manifestent pas ; ce jour-là, nous serions vraiment devenus de bons moutons doux et bêlants en route pour l’abattoir. Que des actes de pure révolte ne soient pas très utiles, c’est un fait, mais ils sont au moins le signe que cette révolte existe."
G.H. Paris
"Le texte des Amis de la Terre (repris par le Mouvement Écologique) me paraît plein d’hypocrisie : "C’est bien, les gars ! Prenez des risques, faites péter vos bombes. Nous, on se salit pas les mains (on est non-violent), mais continuez, on vous soutiendra."... Et si après cet encouragement, une autre action moins réussie faisait des victimes ? Amis de la Terre, Mouvement Écologique, que diriez-vous ?… C’est le piège ! Ou bien serait-on solidaire seulement de ceux qui réussissent ? Je COMPRENDS les saboteurs de Fessenheim, mais je suis OPPOSE à leur type d’action, et je ne voudrais pas qu’en les y encourage, (...) Cette action audacieuse (et remarquablement exécutée) ne va-t-elle pas demain donner des idées à tel ou tel excité, qui, pour se rendre intéressant, fera claquer son pétard dans n’importe quelles conditions ?
Et puis, même s’il ne fait pas de victime, l’explosif est toujours une VIOLENCE ENVERS LE PUBLIC, par la menace qu’il fait peser sur chacun (...). La peur ne se raisonne pas, on connaît les excès auxquels elle peut mener. Une réflexion approfondie s’impose, pour que le public, terrorisé, embrigadé, ne fasse pas une fois de plus les frais de cette révolution que nous sommes nombreux à souhaiter PACIFIQUE."
P.F. Gattières
"En ce qui concerne ma position sur "l’éco-sabotage" à la manière violente vous la devinez !…
En effet, je viens de faire une grève de la faim de 30 jours pour obtenir une émission à la télévision et je serais vraiment illogique si ensuite, je devais utiliser les explosifs !!! Chacun sa méthode !"
Pierre Bressy-Toulon
Halte aux pousse-au-crime !
Je suis résolument hostile à tout attentat. Le mot "éco-sabotage" est un euphémisme pour "terrorisme”, et le terrorisme ne vise les autorités qu’à travers l’opinion publique. Son ressort : la peur. Réaction : "Mais que fait donc la police, Monsieur ?" Renvoyer les gens dans le giron de l’ordre, c’est la réalité. Toute autre attitude ne peut provenir que d’une erreur d’appréciation du rapport de force et de la "stratégie du groupe de pression".
Deux optiques s’affrontent. Pour les uns, les centrales sont le mal absolu qu’il s’agit d’empêcher à tout prix, quitte à sacrifier l’acquit de plusieurs années d’obscur militantisme au sein d’une population méfiante. Ceux-là même admettent très bien le terrorisme (semble-t-il et n’hésitent pas à engager le cercle vicieux "provocation-répression"). Minoritaires, ils adoptent la même "stratégie de tension" que l’extrême droite. Pour les autres, l’important, c’est d’abord la prise de conscience des masses. Ils refusent la débandade panique qui semble régner depuis quelque temps - depuis la farce parlementaire et l’échec du procès de Bourgoin - accompagnant une espèce de démobilisation générale ! Pour ceux-là, dont je suis, l’éco-sabotage, si éco-sabotage il y a, doit se limiter au gag, tel que l’affaire des fûts de déchets radioactifs de Bordeaux, le gag, détonateur de l’esprit frondeur bien connu des Français, qui fait appel à leur sens de l’humour. Contre la dérision des bombes, la bombe de dérision !
L’imagination est une arme autrement plus puissante que l’autre. Tandis que la « bombe mexicaine », de toute façon, finira mal : par des descentes de fachos dans les locaux des comités anti-nucléaires, par un apprenti artificier qui se fera péter la gueule. Au pire : le jour où un accident surviendra à une centrale, EDF pourra nous le coller sur le dos. C’est un aveu d’impuissance, la reconnaissance d’un écho de l’information, et en dernière instance, un mépris implicite des gens, dont on accepte de penser qu’ils sont incapables de prendre en charge (violemment ou non) leur propre refus. Ils ont bonne mine, les G.F.A du Larzac et de Braud, les grévistes de la faim, les opérations 3% Larzac et 8% solaire !
Et qu’on attende de moi l’expression d’aucune solidarité. Ce serait un chèque en blanc, un encouragement à des escalades qui remettraient tout en cause, et pour longtemps. J’ai les mains suffisamment sales pour me contre-foutre du jugement d’autrui à l’égard de la suscrite déclaration."
Garabed
Ça me rappelle la "nouvelle résistance" proposée par certains nostalgiques de mai 68.
Enquête réalisée par l’équipe d’écologie