Ces murs en taule avaient été érigés après que des manifestations aient fait tomber les précédents pour aller chercher du matériel dans le chantier. Malgré leur fonction de gardes, ils semblaient être devenus fort appréciés. En effet, cette palissade était devenue par la suite le support de nombreuses voix. On y avait vu fleurir d’innombrables blazes, des messages politiques, des dessins personnels, des affiches, des mots d’amour… Ces divers usages cassaient la neutralité ambiante et avaient contraint la métropole à l’abandonner. Dans un monde où les traces sont si rares, où la saleté est balayée instantanément, où chaque recoin de la ville est préparée pour satisfaire les touristes, cette éruption incontrôlée faisait tâche.
C’est donc sans surprise mais avec beaucoup de tristesse qu’on a assisté à l’aseptisation de ce support. Si nous ne sommes pas étonnés, c’est que « la stratégie de la fresque » est régulièrement utilisée dans d’autres villes dans les processus de guerre contre le tag .Elle s’inspire entre autre de Toulouse et Marseille, où des fresques sont apparues servant la pacification des rues à des vocations touristiques. Bordeaux ne fait pas exception. Il y a quelques mois déjà, pendant le mouvement contre la réforme des retraites, certains graffeurs Bordelais s’étaient empressés de recouvrir les barricades en bois derrière lesquels se cachaient certaines banques.
Cette fois-ci, la peinture noire a été appliquée, comme un coup d’éponge, effaçant toutes les marques incrustées au centre de la place Saint-Michel. On a put en constater les conséquences, la muséification de cette place semblait avoir un certain effet sur les touristes du petit train, qui s’émerveillaient devant cette horreur. En étant un peu attentifs, on a même pu lire un peu plus de niaiserie dans leurs sourires. Il nous semble important de se rappeler que la ville appartient à celles et ceux qui la vivent et non à ceux qui la visitent.
C’est un paradoxe bien connu, celui de voir d’anciens graffeurs vandales ayant longtemps usé des murs se rapatrier sur une façade offerte par la mairie. Parfois le dispositif va plus loin, les mairies viennent vernir ces fresques, les rendant imperméables aux tags des graffeurs, encore vandales. Ici, la générosité des dirigeants s’est arrêtée à l’offre de ces tôles laissant tout le travail aux « artistes ».
Ce « don » de mur s’inscrit dans un processus plus large, consistant à effacer chaque anomalie dans la ville. D’habitude, les karschers, sableuses et autres rouleaux de peinture unie sont utilisés pour masquer tout ce qui n’est pas inclus dans la norme métropolitaine. Ici, nous assistons à une démarche d’effacement plus insidieuse. La saturation de la ville par une occupation artistique des murs rend les gestes d’appropriation d’autant plus complexes. Et c’est pour rendre possible de nouveaux usages de cet espace que nous avons décidé de tirer un premier trait. Nous espérons que les quelques secondes qu’il nous a fallu pour repasser cette fresque feront renaître un peu de vie sur cette palissade.
Cette fresque est apparue en parallèle du festival Rest In Zik, se tenant sur les quais des sports. Cette double incursion de la culture « Hip Hop » dans le quartier pause encore la question de la considération de ceux qui habitent déjà l’espace. Pour passer de l’autre coté de ces barrières bachées, et accéder aux prestations des rappeurs invités, il fallait payer plus de 40 euros chaque soir. Se réunissait donc, sur cette pelouse, une petite foule, très peu fournie, ayant obtenue leur permis d’entrée, et tout autour de nombreuses personnes essayant de profiter des concerts gratuitement. Certaines bâches ont été arrachées, pour voir le spectacle, une grille est même tombée, tard le premier soir. Si nous n’avons pas réussi à #LiberezLacrim de ce calvaire, nous avons au moins réussi à #LiberezLesMurs.