Chroniques d’une migrante
Je suis une migrante des Caraïbes qui vit en France depuis peu de temps. J’ai la peau métisse et les cheveux afro. Je suis venue en avion et avec des papiers qui me permettent de rester ici un bon moment. J’ai des amis français que j’ai connus avant de venir, un toit et un soutien économique. Ce sont mes petits privilèges, ce qui ne m’évite pas de devoir traverser les mêmes obstacles que n’importe quel migrant.
Pour lire la partie 1, c’est ici.
On me refuse la participation à un programme d’initiation au monde professionnel
On m’a proposé de participer à un cours d’initiation au monde professionnel à partir de la connaissance de soi, destiné à des jeunes profondément français qui n’ont pas terminés leurs études ou s’ils les ont terminées, qui n’ont pas trouvé leur place dans le monde professionnel, ou qui doute beaucoup de comment le faire. C’est aussi destiné aux professionnels qui cherchent à se reconvertir et qui ne savent pas vers quoi. Moi, après 10 mois en France, je me retrouve un peu dans la même situation. En apparence, ce cours est ouvert à tout les publics avec un statut légal stable en France et qui savent lire, écrire et parler français. Pendant la période de programme, la région rémunère les étudiants avec un salaire minimum à 35h par semaine ou un peu plus en fonction des besoins individuels, ce qui permet à ceux qui soutiennent ou contribuent aux besoins de leur famille de pouvoir être disponibles pour suivre le cours. Ma conseillère Pôle Emploi m’a recommandé pour ce cours. Après deux semaines dans cette formation et avoir remis tous les documents demandés, la formatrice me dit que mon dossier n’a pas été accepté par la région parce qu’il manque la date d’expiration de mon titre de séjour. J’ai un visa de long séjour vie familiale et privée, valide comme titre de séjour pour un an, ceci est écrit sur le document que m’a donné la préfecture. Selon ce document, j’ai les mêmes droits qu’un titre de séjour, à la sécurité sociale, un compte en banque, et aussi de travailler, entre autres. En théorie, je ne devrais avoir aucun souci, cependant, quand j’ai demandé une explication plus claire, ils m’ont dit que sans la date explicite d’expiration, ils ne pouvaient pas me payer, mais que si ma formatrice acceptait, je pouvais suivre le cours sans être rémunérée. Moi, j’ai accepté, mais la formatrice a refusé. J’ai demandé à mes camarades français d’intervenir et la réponse a été encore plus révélatrice, a eux, ils leur ont dit que tous les titres de séjour ne donnaient pas les mêmes droits à travailler ou à suivre des formations et que Pôle Emploi s’était trompé en m’envoyant là.
Ma collègue de l’épicerie
Je suis bénévole dans une épicerie, un proche de mon copain m’a conseillé de faire ça parce que ça me permettrait de pratiquer le français et de m’intégrer à la société. Ça fait plusieurs mois que je suis là et mes collègues bénévoles changent. Toutes étaient des femmes, mais avec des situations différentes, il y a des étudiantes, des jeunes travailleuses et des françaises âgées avec qui je partage souvent trop peu de temps pour échanger et comprendre pourquoi elles font ça. Je crois qu’elles ont besoin de sentir qu’elles font quelque chose pour l’humanité ou pour les pauvres, ou simplement, elles s’ennuient dans leur maison. Mais pour moi, le grand mystère, ce sont les migrantes, celles-ci qui n’ont pas les mêmes petits privilèges que moi. Certaines sans papier, sans droit au travail, et sans lieu où dormir parce que ça aussi c’est très compliqué si tu n’a pas de papier et en plus avec des enfants. Mais même ainsi, elles donnent leur peu d’heures libres de la journée pour travailler gratuitement à l’épicerie. Pourquoi elles le font ? Je crois que c’est parce que de cette façon, l’État peut approuver quelles bonnes citoyennes nous sommes et à quel point nous sommes disposées à être exploitées pour pouvoir obtenir les restes du gâteau. Moi, j’imagine que les bénévoles qui sont dans cette situation reçoivent des aides alimentaires et des documents pour leur permettre d’avoir un logement dans de très mauvaises conditions et pour faire grossir leur dossier pour la demande de papiers. Un processus qui peut être très long et sans aucune garantie de rien. Concrètement, ceux-ci sont poussés à travailler pour manger et dormir sans salaire dans une société capitaliste. De cette manière, ils garantissent toute la main d’œuvre en situation d’esclavagisme qui maintient le système. Ils font ainsi diminuer de façon informelle les coûts de la reproduction de la vie de la classe des travailleurs reconnus légalement avec un salaire ou retraités qui peuvent se permettre d’avoir quelqu’un pour nettoyer la maison, s’occuper des enfants, grâce à la situation désespéré de d’autres personnes. Ceci permet aussi le fonctionnement de beaucoup d’associations qui donnent du travail salarié à des femmes blanches de classe moyenne qui peuvent avoir un travail de bureau à temps partiel, alors qu’elles ont deux enfants, qui peuvent dirent qu’elles sont libres et indépendantes et autonomes et qu’elles peuvent faire autant de rendement que les hommes au travail. Ainsi, le capitalisme résout deux problèmes en même temps, d’un côté, il dépolitise la classe moyenne en transformant les possibles causes politiques en association et d’un autre côté, il domestique et normalise différentes formes d’esclavagisme.
Le dentiste
Déjà avant mon arrivée en France, j’avais une molaire abîmée. À Cuba, même si l’assistance médicale est légalement gratuite, il n’y a pas- ou alors, il est très cher - de matériel pour réaliser un bon traitement comme en avait besoin ma molaire. Ici, j’ai eu l’opportunité de le faire, mais rapidement, j’ai été confrontée au prix et aux réalités. La Sécurité sociale paye une partie du service médical avec nos impôts et une mutuelle qui est comme une sorte de compte où tu laisses de l’argent tous les mois et qui paye la partie des services médicaux non remboursés par la Sécurité sociale. Tout fonctionne avec un système de remboursement et il est possible que tu doives payer une partie. La première fois que je suis allée chez le dentiste pour faire un examen pour voir combien coûterait le traitement, j’ai compris que cela me coûterait 600 euros, nous sommes en train de parler d’une seule molaire sur laquelle on mettrait une couronne. Tout le processus sera remboursé par la mutuelle, mais moi, je n’avais pas cet argent sur mon compte. La solution a été de me permettre de payer par chèque, qui serait encaissé par la clinique une fois que la mutuelle m’aurait remboursée. Mais la Banque a mis plusieurs semaines à répondre à ma demande de carnet de chèques. Évidemment, le processus médical avait déjà commencé : couper le nerf coûte une cinquantaine d’euros, mais sans le carnet de chèques, on ne pouvait pas continuer, le traitement s’est donc arrêté. Pendant ce temps, ma molaire s’est infectée. Finalement, les chèques sont arrivés. Soigner la molaire avant de finir le traitement avait coûté 50 euros de plus et il manquait encore à me mettre la couronne qui coûte 528 euros. Pour deux traitements médicaux, j’ai contracté une dette de 628 euros que je vais payer en 16 mois par versement de 37 euros, enfin si je ne tombe pas malade ou que je ne dois pas subir d’autres traitements. À cela, il faut ajouter que de moins en moins de services médicaux sont remboursés par la Sécurité sociale, et toujours plus nombreux ceux qui se font dans le secteur privé.
Si vous voulez écrire ou faire des retours à la personne qui écrit ces chroniques, c’est à cette adresse : dvfaf@riseup.net