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Ce que la menace fasciste fait aux trans


La montée du fascisme et ses idées nauséabondes, en France et dans le reste du monde, nuisent gravement aux communautés trans. Avec le score historique du RN aux dernières élections, nos vies sont plus menacées que jamais. Échanges avec des camarades trans sur la séquence politique actuelle, au festival Paré·es Pour.

Du 27 au 30 juin dernier avait lieu la deuxième édition du festival Paré·es Pour, sur l’ancienne ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Organisé par des personnes trans et ouvert à tous·tes, ce festival est un moment de célébration des luttes et des créations trans. Cette année, l’ambiance est un peu spéciale : le premier tour des élections législatives anticipées a lieu le même week-end. Après la percée de l’extrême-droite aux européennes, les participant·es craignent que le RN arrive en tête des élections. S’iels craignent une prise du pouvoir de l’extrême-droite, c’est que celle-ci mettrait en danger leurs existences, déjà gravement précaires. C’est dans la caravane des premiers secours, ou à côté de l’espace « pimpage », près des machines à coudre, du maquillage et de la gratuiterie, qu’iels me confient leurs vécus.

La crainte des violences physiques

À l’annonce des résultats des élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale, la communauté trans tremble. En effet, leurs existences sont profondément menacées par l’extrême-droite. Iels craignent de se faire casser la gueule, ou pire, de mourir. « À propos des résultats de l’extrême-droite aux européennes, je ne suis pas surprise mais ça ne m’empêche pas d’être sous le choc » me confie Emma, enseignante et activiste écologiste. Au moment de l’annonce des résultats, celle-ci était avec un·e ami·e trans. Elle m’explique avoir « senti la violence physique que cette annonce faisait peser sur nos corps. » Elle n’est d’ailleurs pas la seule à craindre pour sa vie. Félix*, jeune parent trans, avoue aussi avoir été, jusqu’à peu, en permanence sur ses gardes. « On vit dans un quartier populaire qui a élu une députée NFP au premier tour, explique-t-il. Les jours suivants, j’ai éprouvé pour la première fois une sensation de bien-être en m’y promenant : je me disais, ici on vote à gauche, ici personne ne veut nous voir crever. C’était très fort de ressentir ça, alors que pendant la grossesse je n’étais pas à l’aise dans l’espace public, et que j’avais peur de la transphobie et des agressions. »

Si ces craintes sont aussi marquées, c’est que les trans vivent chaque jour une transphobie de plus en plus débridée. Le dernier rapport de l’association SOS homophobie démontre que « depuis 2020, la transphobie est en augmentation. » Il montre aussi que « la majorité des victimes sont jeunes et sont des femmes trans. » En juillet dernier, deux femmes trans, Angelina et Géraldine, ont été assassinées, à quelques jours d’intervalle. Ces transféminicides ont reçu une couverture médiatique déplorable, sensationnaliste et transphobe. Thomas*, un mec trans vivant en milieu rural dans le nord, me dit avoir récemment vécu du cyberharcèlement, alors qu’il militait pour la création d’un espace LGBT+ dans son village. « En ce moment, on sent que l’atmosphère a changé, dit-il. Dans mon bled, on a inauguré une petite bibliothèque LGBT+. Direct, on a dû faire face à une nuée de commentaires haineux sur Facebook. »

Ces violences ne sont pas le fruit du hasard. En effet, l’extrême-droite se sert de la désinformation et de la méconnaissance autour des questions trans pour créer des paniques morales, relayées ensuite par les journaux et éditorialistes réactionnaires. Dans une enquête pour la revue Déferlante, la sociologue Karine Espineira analyse : « Aujourd’hui, la “question trans” a les mêmes fonctions que les débats sur l’immigration : c’est un thème qu’il faut aborder si on veut obtenir de l’audience. » Ces paniques morales créées de toutes pièces permettent aux médias de créer des buzz médiatiques et de faire de l’audience. Tout ça au prix de conséquences gravissimes pour les personnes concernées, de déferlements de haine envers elles, en ligne et dans la vraie vie. Emma, de son côté, a récemment écrit un article où elle montre, m’explique-t-elle, « comment la figure de la personne trans est mobilisée comme chair à canon pour séduire l’électorat d’extrême-droite. C’est d’ailleurs juste avant les élections européennes que Dora Moutot et Marguerite Stein ont sorti leur pamphlet anti-trans. Lutter pour les droits des personnes trans, c’est lutter contre le fascisme, puisque l’idéologie transphobe est un outil de fascisation. »

Organiser son quotidien dans une société transphobe

Déjà entravées dans leur vie personnelle quotidienne par la transphobie institutionnelle, comme le montre la récente proposition de loi visant à interdire l’accès aux traitements médicaux pour les mineurs trans, adoptée au Sénat le 28 mai dernier, les personnes trans craignent l’acharnement transphobe et raciste que pourrait provoquer l’extrême-droite si elle arrivait au pouvoir.

Isadora*, mère d’un bébé de 5 mois, regarde avec inquiétude les années à venir. « Une copine m’a dit que ce ne serait pas la priorité de l’extrême-droite de revenir sur la PMA, mais symboliquement, ça reste un message très fort à l’encontre de ma famille. Grâce à la loi bioéthique, qui n’est pas parfaite, on a quand même pu faire une reconnaissance conjointe anticipée qui nous a évité de faire une procédure d’adoption payante. En Italie, le gouvernement de Meloni revient sur ces droits de manière rétroactive, ce qui est très flippant pour moi qui n’ai pas porté mon enfant. »

De son côté, Félix*, fonctionnaire, craint que le racisme systémique s’aggrave sous un gouvernement RN et se pose la question de démissionner si un gouvernement d’extrême-droite arrivait au pouvoir. « Jusqu’à quel point est-ce que je pourrai travailler dignement si le RN était au pouvoir ? se demande-t-il. Sous Macron, je suis déjà confronté à de nombreuses situations où je suis censé faire appliquer des mesures qui heurtent profondément mes valeurs, notamment anti-racistes. L’islamophobie institutionnelle pourrait encore s’aggraver sous un gouvernement RN et je me pose la question : est-ce que dans une telle situation, il vaut mieux rester pour tenter coûte que coûte de protéger les élèves ? Ou est-ce que je refuserais de rester fonctionnaire ? »

Solidarités LGBTI+ et antifascistes

Dans ce contexte nauséabond, il est vital pour les personnes trans de continuer à lutter collectivement, au sein des milieux LGBTI+ mais aussi en créant des ponts avec les militant·es d’extrême gauche. Le festival Paré·es Pour a été une belle occasion de se soutenir et de créer des espaces de vie joyeux et progressistes dans cette période politique chaotique. « J’étais très ému d’offrir cet espace à mon petit bébé, souffle Félix. Iel a été porté par son papa trans, et parfois je m’inquiète que le monde straight le fasse se sentir comme une anomalie. Quel bonheur d’évoluer dans un espace où nul·le ne s’étonne que je l’aie porté·e ! » Des initiatives militantes bourgeonnent un peu partout, comme l’organisation de prides rurales. « Actuellement, je vis en Dordogne, dans un petit village au milieu des vaches, raconte Emma. Cette année, l’asso LGBT+ du coin a organisé une pride rurale. C’est important qu’on revendique la place des personnes trans et queer à la campagne, parce que c’est là aussi que le boulot de lutte contre le fascisme doit se mener. »

Un tissu solidaire antifasciste s’alliant aux luttes trans est d’ailleurs en train de se déployer dans toute la France. « À Angoulême, j’étais à la manif’ contre la proposition de loi anti-trans, commente Emma, le visage ensoleillé. Il y avait pas mal de militant·es antifa parmi nous. Ça donnait de l’espoir. » Dans plusieurs grandes villes, comme à Bordeaux, Rennes ou encore Marseille, des assemblées antifascistes ouvertes à tous·tes et autres comités de quartiers populaires ont récemment fleurit et permettent de lutter activement contre la transphobie. On assiste à une alliance des luttes réjouissante. « Je suis optimiste car en ce moment, des tas de réseaux d’entraide et de solidarité se développent, même en-dehors des milieux militants, conclut positivement Emma. C’est là aussi qu’on s’entraîne à imaginer des alternatives au fascisme. »

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